La vallée de la Shaksgam

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 Le massif du Karakoram, qui s'étend sur une longueur de plus de 500 km à la frontière entre la Chine et le Pakistan est exceptionnel par sa beauté sauvage et son histoire. Epargné par la mousson qui frappe l'Himalaya, il est propice à la randonnée pédestre en été et automne.

La rivière Shaksgam, entièrement située en Chine, draine le versant nord du Karakoram avant de terminer sa course dans les sables du désert de Takla Makan. La vallée de la Shaksgam permet d'atteindre le pied de la face nord du K2 et de visiter les glaciers descendant du massif des Gasherbrum vers le nord en profitant de vues exceptionnelles sur les «8000» du Karakoram. Puissamment alimentée par d'importants glaciers, la Shaksgam, comme toutes les rivières du Karakoram, possède en été un débit très important qui la rend infranchissable de la fin de mai à la mi-septembre.

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Le versant nord du K2. 22 septembre 1993.

Le versant nord du K2. 22 septembre 1993.

Cette randonnée n'est donc possible qu'à l'automne. On peut rejoindre la Shaksgam depuis le Pakistan par le glacier de Baltoro, le col et le glacier de Sarpo Laggo, mais l'accès le plus simple passe par la Chine et le col d'Aghil. C'est ce trajet que nous avons suivi.
La vallée de la Shaksgam, comme tout le versant nord du Karakoram, est très peu fréquentée et nous n'avons rencontré personne durant les 40 jours passés ici. Des raisons d'ordre géopolitiques expliquent cette désaffection, le versant chinois du Karakoram étant demeuré inaccessible jusqu'à la fin des années 80.

Le versant Nord du Chongtar Kangri (7330m) et le Chongtar Glacier. 28 septembre 1993.

Le versant Nord du Chongtar Kangri (7330m) et le Chongtar Glacier. 28 septembre 1993.

En 1887, Sir Francis Younghusband (1), cherchant un passage à travers l'Himalaya lors de son fameux voyage de Pékin aux Indes, découvrit le col d'Aghil d'où il gagna la vallée de la Shaksgam. Après avoir franchi le col de Mustagh à 5600m, il rejoignit le glacier de Baltoro puis le bassin de l'Indus. Deux ans plus tard, il traversa à nouveau le col d'Aghil, descendit la Shaksgam et gagna le col de Shimshal puis la vallée de l'Indus. Ce n'est que 50 ans plus tard qu'Eric Shipton (2),(3) et Bill Tilman (4) revinrent ici avec l'expédition géographique anglaise de 1937 afin de combler les blancs qui demeuraient encore sur les cartes.

Dans la vallée de la Surukwat. 14 septembre 1993.

Dans la vallée de la Surukwat. 14 septembre 1993.

La difficulté des randonnées sur le versant nord du Karakoram est d'ordre logistique. Mahza, dernier lieu habité rejoint par la route, est à 4 jours de marche de la Shaksgam par le col d'Aghil (4780m). La vallée et les massifs qui la dominent sont inhabités, sans aucune ressource. Les chameaux de Bactriane à deux bosses constituent ici le seul moyen de transport possible pour acheminer les vivres et le matériel dans la vallée puis les transporter sur une distance de plus de 100km. Notre petite équipe de 4 personnes a effectué la totalité du parcours à pied en septembre-octobre 1993.

La vallée de la Yarkand près de son confluent avec la Surukwat. 14 septembre 1993.

La vallée de la Yarkand près de son confluent avec la Surukwat. 14 septembre 1993.

Les terrasses de la Surukwat. 14 septembre 1993.

Les terrasses de la Surukwat. 14 septembre 1993.

Le transport vers la Shaksgam avec des chameaux de Bactriane a été organisé depuis la France avec l'aide d'une agence chinoise d'Urumqi qui a parfaitement rempli sa mission. Partis de Pékin, nous avons fait halte à Urumqi, Kachgar et Yarkand avant d'arriver à Mahza le 13 septembre où nous avions rendez-vous avec la caravane de chameaux qui nous a accompagnés durant plus d'un mois.

13 au 16 septembre - La vallée de la Surukwat et le col d'Aghil

Les chameaux sont bien là et, après avoir vérifié le matériel, la caravane s'engage le jour même sur la piste qui descend la vallée de la rivière Yarkand en suivant sa rive gauche.

La caravane des chameaux dans la vallée de la rivière Yarkand. 13 septembre 1993.

La caravane des chameaux dans la vallée de la rivière Yarkand. 13 septembre 1993.

La caravane des chameaux dans les gorges de la rivière Surukwat. 15 septembre 1993.

La caravane des chameaux dans les gorges de la rivière Surukwat. 15 septembre 1993.

 

Cette piste, construite par l'armée chinoise lors de la guerre sino-indienne de 1962, est maintenant assez dégradée. Deux jours de marche facile permettent d'atteindre, près du lieu-dit Nica, le confluent de la Yarkand et de la rivière Surukwat que l'on va remonter vers le sud. Après avoir laissé sur la gauche la vallée de la fausse Shaksgam (Zug Shaksgam), la caravane emprunte une piste taillée à flanc de paroi qui permet de franchir les gorges de la Surukwat. A la sortie des gorges débute la longue montée conduisant au col d'Aghil (4780m) atteint avec les chameaux le 16 septembre. 

 

 

 

La Shaksgam est à nos pieds et c'est avec émotion que nous franchissons ce col mythique dont nous avons tant rêvé. Dans la soirée, le camp est établi près de Kulan Jilga, au pied du col d'Aghil, sur la rive droite de la Shaksgam, vers  3930m.

Le col d'Aghil (4780m). 17 octobre 1993.

Le col d'Aghil (4780m). 17 octobre 1993.

Vers  le  K2

17 au 20 septembre - Sughet Jangal

La vallée de la Shaksgam au pied du col d'Aghil, vue vers l'amont. 16 septembre 1993.

La vallée de la Shaksgam au pied du col d'Aghil, vue vers l'amont. 16 septembre 1993.

Le 17 septembre, nous commençons à descendre la Shaksgam pour rejoindre le lieu-dit Sughet Jangal (3890m) situé 30km en aval, à l'entrée de la vallée conduisant au K2. Pour cela, il faut traverser la rivière. La Shaksgam coule ici dans une vallée très plate, large de 500m à 2km selon les endroits, à une altitude proche de 4000m. Le courant est rapide et la rivière se divise en plusieurs bras mais le chenal principal demeure important. Nous sommes à peine au début de l'automne, les chameaux traversent facilement mais, pour nous, la traversée à gué demande un peu d'attention et il est facile d'imaginer que cette traversée est impossible en été. Les chameaux restent à Sughet Jangal car ils ne peuvent pas remonter la vallée menant au K2. Ils nous attendront ici où nous avons prévu de revenir dans une dizaine de jours.

21 au 29 septembre - Le versant nord du K2

Après avoir réorganisé les charges et pris un peu de repos, c'est à pied, lourdement chargés, que s'effectue notre départ vers le K2 en ce matin du 21 septembre. Le ciel est limpide et le sommet du K2 apparaît dans l'axe de la vallée. Après une journée passée sur un terrain morainique, le North K2 Glacier est rejoint vers 4500m. Comme tous les glaciers du versant nord du Karakoram, celui-ci est couvert de pénitents.

Pénitents de glace sur le North K2 Glacier. 21 septembre 1993.

Pénitents de glace sur le North K2 Glacier. 21 septembre 1993.

Ces aiguilles de glace qui peuvent dépasser douze mètres de hauteur recouvrent certains glaciers des régions sèches et ventées. Au Karakoram, le contraste est saisissant entre les glaciers du versant sud et du haut bassin de l'Indus (Biafo, Baltoro, Hispar, Batura etc..) dépourvus de pénitents et ceux du versant nord et du bassin de la Shaksgam (K2, Gasherbrum, Singi, Kyagar etc..) recouverts par ces formes glaciaires. Par chance, sur le glacier du K2, les pénitents sont assez éloignés les uns des autres ce qui permet de progresser facilement entre eux. Mais sur d'autres glaciers de la région, ils peuvent constituer un obstacle infranchissable. La forme parfaite du K2 se rapproche petit à petit et, dans la soirée du 23 septembre, le camp est monté au pied de sa face nord, vers 5100m.

Le sommet du versant nord du K2. 20 septembre 1993.

Le sommet du versant nord du K2. 20 septembre 1993.

La base de l'éperon Nord du K2 et notre camp à 5100m. 22 septembre 1993.

La base de l'éperon Nord du K2 et notre camp à 5100m. 22 septembre 1993.

 

 

 

 

 

La montée vers le K2 au milieu des pénitents de glace. 21 septembre 1993.

    Montée vers le K2 au milieu des pénitents de glace          21 Septembre 1993

 

Devant nous, le fantastique éperon nord, haut de 3500m, s'élève directement vers le sommet. Intense émotion esthétique si bien exprimée par Younghusband (1) qui fut le premier à voir ce versant du K2 en 1887. It was one of those sights which impress a man for ever, and produce a permanent effect upon the mind- a lasting sense of the greatness and grandeur of Nature's works- which he can never lose or forget. La journée du lendemain est consacrée à une visite en direction du col Savoia, atteint  en 1909 par l'expédition italienne du Duc des Abruzzes (5) qui venait du glacier de Baltoro. Toute la journée, nous sommes à la fois écrasés et fascinés par la paroi qui nous domine. Dans la soirée, le soleil illumine le K2, fabuleux spectacle sur la plus belle montagne du monde. Le lendemain, le ciel est un peu couvert et nous partons vers l'est compléter notre visite du versant nord de la grande montagne.

Lumières sur le versant Nord du K2. 23 septembre 1993.

Lumières sur le versant Nord du K2. 23 septembre 1993.

Le Chongtar Kangri (7330m). 28 septembre 1993.

Le Chongtar Kangri (7330m). 28 septembre 1993.

 

Le jour suivant, il est temps d'entamer le retour. Après une descente du glacier du K2 au milieu des pénitents, un camp est installé vers 4900m, face au massif des Chongtar. Dans la nuit, quelques centimètres de neige sont tombés et le ciel est encore couvert. Espérant une éclaircie, nous partons vers le sommet de 5400m dominant la rive droite du glacier du K2. Gravi par Tilman lors de l'expédition anglaise de 1937, ce sommet est facile et, malgré un  ciel nuageux, la vue sur le massif des Chongtar est grandiose et montre bien la complexité du système montagneux de la région. Le lendemain, nous reprenons le chemin de Sughet Jangal rejoint dans la soirée. 

Montée de la caravane au col d'Aghil

Montée de la caravane au col d'Aghil

Le massif du Chongtar Kangri (7330m).

Le massif du Chongtar Kangri (7330m).

Le glacier du Chongtar se jette dans le <north K2 glacier

Le glacier du Chongtar se jette dans le North K2 Glacier

Glacier des Gasherbrum et vallée de la Shaksgam

Glacier des Gasherbrum et vallée de la Shaksgam

Vers  les  Gasherbrum

30 septembre au 4 octobre - La vallée de la Shaksgam

Après une journée de repos auprès des chameaux, nous quittons Sughet Jangal pour aller voir le versant nord des “8000” du Karakoram et remonter la vallée de la Shaksgam le plus loin possible. Pour cela, il faut rejoindre les glaciers qui descendent du massif des Gasherbrum et atteignent la vallée de la Shaksgam à 60km d'ici.

La vallée de la Shaksgam, rive droite entre Kulm et le Détroit. 3 octobre 1993.

La vallée de la Shaksgam, rive droite entre Kulm et le Détroit. 3 octobre 1993.

Quatre jours de marche facile sous un ciel lumineux, au milieu des roches ocres qui bordent la vallée, avec des vues magnifiques sur les sommets environnants, nous conduisent au pied des glaciers où, vers 4300m, le camp des Gasherbrum est installé avec les chameaux. Le glacier des Gasherbrum et son voisin, le glacier d'Urdok, alimentés par le versant nord des Gasherbrum et du Broad Peak, barrent partiellement la vallée et marquent la limite entre la moyenne Shaksgam où nous sommes et la haute Shaksgam.

Le K2, à droite, vu de la vallée de la Shaksgam. 5 octobre 1993.

Le K2, à droite, vu de la vallée de la Shaksgam. 5 octobre 1993.

Deux parcours complexes sont possibles pour accéder à la haute Shaksgam: soit traverser les deux glaciers, soit suivre le cours de la rivière. La traversée des glaciers est souvent difficile et, quand elle est possible, elle est toujours longue car le glacier des Gasherbrum est recouvert de grands pénitents et le glacier d'Urdok de débris morainiques. Quant à la rivière, elle coule dans un défilé étroit, coincée entre une paroi rocheuse sur sa rive droite et le front du glacier d'Urdok qui forme un mur de glace vertical de plus de 40m de hauteur sur sa rive gauche. Ce passage d'environ 300m de longueur, le Détroit de la Shaksgam, permet d'accéder à la haute vallée sans traverser les glaciers. Il ne peut cependant être franchi avant le début du mois d'octobre, à gué dans une eau glacée. Les chameaux ne peuvent pas aller au-delà du camp des Gasherbrum et c'est à pied que nous visiterons la haute Shaksgam. 

Le front du glacier d'Urdok et la rivière Shaksgam dans le Détroit. 10 octobre 1993.

Le front du glacier d'Urdok et la rivière Shaksgam dans le Détroit. 10 octobre 1993.

5 et 6 octobre - Le glacier des Gasherbrum

Le versant Nord des Gasherbrum. De G à D: Hidden Peak (G1, 8068m)), Gasherbrum 2 (8035m) et 3 (7952m). 5 octobre 1993. A droite, hors photo, le Broad Peak (8047m) et le K2 (8610m).

                                        Le versant Nord des Gasherbrum. De G à D: Hidden Peak (G1, 8068m)), Gasherbrum 2 (8035m) et 3 (7952m).

                                                                      5 octobre 1993. A droite, hors photo, le Broad Peak (8047m) et le K2 (8610m).

Le versant Nord des Gasherbrum. De G à D: Hidden Peak (G1, 8068m), Gasherbrum 2 (8035m) et 3 (7952m). 5 octobre 1993.Le Broad Peak (8047m) et le K2 (8610m) sont hors photo, à D.

Le versant Nord des Gasherbrum. De G à D: Hidden Peak (G1, 8068m), Gasherbrum 2 (8035m) et 3 (7952m). 5 octobre 1993.Le Broad Peak (8047m) et le K2 (8610m) sont hors photo, à D.

 

En ce 5 octobre, le temps est toujours parfait, mais les températures baissent de jour en jour. Aussi, nous partons gravir une crête dominant la rive gauche du glacier des Gasherbrum afin de profiter du panorama sur les faces nord du Karakoram. Vers 5300m, un fabuleux paysage est devant nous. D'est en ouest, sur près de 40km, le Gasherbrum 1 (Hidden Peak), le Gasherbrum 2, le Broad Peak et le K2 à plus de 8000m, le Gasherbrum 4, quelques dizaines de mètres plus bas et divers “petits 7000” composent le plus grandiose paysage de haute montagne de la planète.

 

 

 

A elle seule, cette vision unique justifierait la visite de la Shaksgam. La journée du lendemain est consacrée au glacier des Gasherbrum. Après plusieurs heures passées au milieu des pénitents, il apparaît clairement que la traversée des glaciers est, certes superbe, mais longue et aléatoire. Aussi, pour rejoindre la haute vallée de la Shaksgam, nous passerons par le Détroit plutôt que par les glaciers.

Grand pénitent sur le glacier des Gasherbrum. Le personnage au bord de l'eau, à G ,donne l'échelle. 8 octobre 1993.

Grand pénitent sur le glacier des Gasherbrum. Le personnage au bord de l'eau, à G ,donne l'échelle. 8 octobre 1993.

7 au 14 octobre - Le Détroit de la Shaksgam et le glacier de Singi

Le 7 octobre, nous partons vers le Détroit de la Shaksgam. Après avoir suivi la rive droite sur des bancs de sable et de galets, vient l'endroit où la rivière coule le long de la paroi rocheuse. La profondeur est assez faible mais l'eau est glacée et, après avoir installé sac, vêtements et chaussures sur le dos, nous remontons le courant à gué avant de revenir sur la berge de la rive droite.

Vue vers l'amont dans le Détroit de la Shaksgam. A droite, le front du glacier d'Urdok tombe dans la rivière. 10 octobre 1993.

Vue vers l'amont dans le Détroit de la Shaksgam. A droite, le front du glacier d'Urdok tombe dans la rivière. 10 octobre 1993.

Ce passage extrêmement spectaculaire est aussi assez dangereux en raison des blocs de glace du glacier d'Urdok qui peuvent tomber sur la rive gauche de la Shaksgam. Mais quelle ambiance au milieu de ce passage où l'on se croirait sur la Lune !! Le Détroit franchi, la haute Shaksgam s'ouvre devant nous sur une longueur de 60km, jusqu'au glacier d'où sort la rivière.

Détroit de la Shaksgam et front du glacier d'Urdok. 14 octobre 1993.

Le Détroit de la Shaksgam et le front du glacier d'Urdok. 14 octobre 1993.

Trois glaciers atteignent la rive gauche de la vallée. Vers 4400m, le glacier de Staghar se contourne facilement mais le glacier de Singi, à 4500m, et le glacier de Kyagar vers 4900m barrent complètement la vallée. C'est ainsi qu'à certaines époques, le barrage formé par le glacier de Kyagar a crée un lac de plusieurs kilomètres de long (6) . D'autres lacs de ce type existent au Karakoram où se trouvent les plus importants glaciers du monde non polaire. Or la rupture partielle ou totale d'un barrage naturel sous la pression de l'eau peut créer en aval un courant dévastateur. Ce phénomène d'écoulement brutal d'une masse d'eau n'a rien d'exceptionnel mais il représente un danger important qui n'est pas particulier à la vallée de la Shaksgam mais concerne tout le Karakoram (3).

 

 

 

 

En amont du Détroit, nous remontons facilement la vallée jusqu'au glacier de Staghar. Au cours de la soirée, le ciel se couvre et il tombe un peu de neige pendant la nuit. La température chute nettement au-dessous de zéro et au matin, sous un ciel grisâtre, la glace apparaît à la surface de l'eau.

Premières neiges dans la haute vallée de la Shaksgam, en amont du Détroit. 11 octobre 1993.

Premières neiges dans la haute vallée de la Shaksgam, en amont du Détroit. 11 octobre 1993.

Traversée à gué de la haute Shaksgam vers 4400m, sous les premières neiges d'octobre. 11 octobre 1993.

Traversée à gué de la haute Shaksgam vers 4400m, sous les premières neiges d'octobre. 11 octobre 1993.

Aujourd'hui, les traversées de la rivière à gué seront un peu fraîches. Le soleil revient et, après deux journées de marche facile, nous atteignons le glacier de Singi qui coupe toute la vallée (7). La rivière s'est frayée un chemin sous la glace, empêchant ainsi la formation d'un lac en amont. Le lendemain, notre progression vers la haute Shaksgam échoue au milieu des pénitents. La traversée du glacier de Singi est certes possible7 mais serait trop longue à l'aller et au retour au regard de notre calendrier. Nous n'irons donc pas au-delà du glacier de Singi. Néanmoins, le 11 octobre, nous montons vers 5300m sur les crêtes dominant la rive gauche du glacier de Singi pour avoir une vue de l'ensemble de la haute Shaksgam.

 

 

Descendant du massif des Apsarasas Kangri dont les crêtes de plus de 7000m s'alignent sur 30km, le glacier de Singi est très spectaculaire avec sa moraine médiane et ses pénitents qui le rendent difficilement franchissable. Vision de bout du monde et pour nous, ultime vision de la haute Shaksgam. Au matin du 12 octobre, tournant le dos au glacier de Singi avec quelques regrets, nous mettons le cap vers le Détroit.

Le glacier de Singi. 12 octobre 1993.

Le glacier de Singi. 12 octobre 1993.

Trois jours de marche sur un terrain connu et un second franchissement du Détroit aussi impressionant que le premier, nous ramènent au camp des Gasherbrum où les chameaux nous attendent.

La haute vallée de la Shaksgam. 12 octobre 1993.

La haute vallée de la Shaksgam. 12 octobre 1993.

15 au 21 octobre – La vallée de la Shaksgam et le col d'Aghil

Le voyage s'achève. La Shaksgam a beaucoup changé depuis notre arrivée il y a un mois. La température et le niveau de l'eau ont baissé et on peut maintenant traverser la rivière assez aisément. L'eau est claire, la glace s'est installée sur les rives et ne parvient plus à fondre durant la journée. Dans un mois, l'eau ne coulera plus. Après avoir descendu la vallée de la Shaksgam jusqu'à Kulan Jilga, puis retraversé le col d'Aghil, nous faisons halte pour la nuit près d'une cabane de bergers kirghizes. Ce sont les premiers humains rencontrés depuis 5 semaines. Les hommes sont descendus mais un jeune couple, dont la femme est enceinte, va passer l'hiver ici. Ils nous offrent le thé et des biscuits tandis que nous leur donnons quelques mètres de corde. Le poêle, alimenté par la bouse de yack, fume et maintient un peu de chaleur dans cette pièce, malgré les pierres disjointes des murs de la hutte. Nous sommes à 4500m d'altitude et l'hiver ici doit être sévère. Au matin, nous prenons congé de nos hôtes avant de suivre à nouveau les gorges de la Surukwat, puis de remonter la vallée de la Yarkand pour atteindre Mahza où nous arrivons le 21 octobre avec les chameaux. C'est fini, les plus grandes, les plus hautes, les plus sauvages et les plus belles montagnes du monde sont derrière nous.

Retour dans la vallée de la rivière Yarkand. 20 octobre 1993.

Retour dans la vallée de la rivière Yarkand. 20 octobre 1993.

Bibliographie

De très nombreux ouvrages relatent les grandes ascensions effectuées sur le versant sud du Karakoram, principalement autour du glacier de Baltoro, mais peu de récits sont consacrés au versant nord de la chaîne, beaucoup moins parcouru. Les textes de Younghusband, Shipton, Mason et Spoleto sont les plus complets sur le sujet.

1 - Sir Francis Younghusband (1863-1942) - The heart of a continent - Londres, John Murray éditeur (1896). Plusieurs rééditions récentes de ce livre essentiel.

2 - Eric Shipton (1907-1977) - Blank on the map - Londres, Hodder et Stoughton éditeur (1939). L'expédition géographique anglaise de 1937 au Karakoram et le problème de la fausse Shaksgam. Ouvrage fondamental sur le Karakoram, réimprimé à la demande.

3 - Eric Shipton (1907-1977) - Sur cette montagne - Grenoble, éditions Arthaud, 1950. Traduction française du livre d'Eric Shipton Upon that mountain. Chapitres 12 à 14 sur l'exploration de la Shaksgam, le problème des rivières et des barrages naturels.

4 - Bill Tilman (1898-1977) – Compagnon d'expédition d'Eric Shipton, il réussit la première ascension de la Nanda Devi en 1936 et participa à de nombreuses expéditions au Karakoram dont celles de 1937 et 1939.

5 - Duc des Abruzzes (1873-1933) – Dirigea dès 1909 la première expédition sur le K2. Il découvrit l'arête qui porte son nom et constitue toujours la voie d'accès au sommet. La spedizione di Luigi di Savoia, duca degli Abruzzi, al Karakoram. Bologne, Zanichelli éditeur, 1912. Les photographies de Vittorio Sella qui illustrent le livre sont exceptionnelles. Rare et très cher en édition originale. Réimprimé à la demande dans sa version anglaise, sans les photos de Vittorio Sella.

6 - Kenneth Mason (1887-1976) – Exploration of the Shaksgam Valley and Aghil Ranges (1926). Publié par le Survey of India en 1928. Intéressantes photos de la haute Shaksgam et du lac glaciaire de Kyagar. Ouvrage réimprimé à la demande.

7 - Duca di Spoleto (1900-1948) et Ardito Desio (1897-2001) - La spedizione geografica italiana al Karakoram (1929) - Milan, Bertarelli éditeur, 1936. Nombreuses cartes et photos de la Shaksgam et du Karakoram occidental. Ouvrage de référence sur le Karakoram. Ardito Desio dirigea en 1954 l'expédition italienne qui effectua la première ascension du K2. Livre en italien, jamais traduit ni réédité. Très rare.

8 - Galen Rowell (1940-2002) - In the Throne Room of the Mountain Gods - San Francisco - Sierra Books éditeur, 1986. Excellente synthèse sur le Karakoram par le grand alpiniste, skieur, écrivain et photographe américain, disparu en août 2002 avec sa femme Barbara dans un accident d'avion aux Etats-Unis.

9 - Louis Audoubert (Né en 1935) – Baltoro, montagnes de lumière - Arthaud éditeur, 1983 . Le meilleur livre en français sur le Karakoram.

Marc Breuil, Philippe Nonin, Bernard Odier et Claude Pastre ont effectué ce voyage du 13 septembre au 21 octobre 1993.

 Carte