Une expédition difficile sur le terrain, surtout avec des pulkas, à cause de l'isolement, des crevasses et de la raideur des pentes. Une expédition coûteuse et compliquée à organiser, en raison des exigences administratives et des problèmes de transport. Mais il s'agit d'un massif d'une fabuleuse beauté, offrant des possibilités illimitées de raids à skis magnifiques et inédits. C'est une apothéose du ski de montagne sous sa forme la plus pure et la plus belle.
Le Kirkbrae vu du glacier de Canta (Cantabrae). 20 avril 1984.
Situées sur la côte est du Groenland, entre 70 et 73° de latitude, les Alpes de Stauning forment la partie occidentale de la Terre de Scoresby. Limitée par le Kong Oscar Fjord au nord, le Nordvest Fjord au sud et l'océan Atlantique à l'est, la Terre de Scoresby comprend deux parties bien distinctes, séparées par deux grandes vallées rectilignes orientées nord-sud: les vallées de Skel et de Schuchert.
A l'est de ces vallées, les Terres de Liverpool et de Jameson, constituées de collines arrondies dominées par trois petits massifs montagneux, sont d'un intérêt limité. Mais à l'ouest, entre l'Alpe Fjord et le col de Skel, les roches et les paysages changent complètement et l'on voit se dresser brutalement la magnifique chaîne de montagne des Alpes de Stauning.
Les Diadèmes - 26 Avril 1984.
Là, sur une étendue d'environ 6000km², soit l'équivalent d'un département français, se trouvent des centaines de montagnes superbes et variées. Dômes de neige, aiguilles et pics rocheux, arêtes neigeuses, grandes faces glaciaires, hautes et larges murailles rocheuses, toutes les beautés des Alpes sont rassemblées ici les unes à coté des autres. Ces sommets magnifiques ont des altitudes assez voisines, de l'ordre de 2500m, quelques-uns dépassent 2700m et le massif culmine à la Dansketinde à 2940m. Des courses à skis d'anthologie sont réalisables ici, mais il existe assez peu de cols franchissables, surtout avec des pulkas. Le ski de raid dans les Alpes de Stauning a donc un caractère très alpin, fort éloigné du ski de randonnée nordique. A proximité de la vallée de Skel, sur la rive sud du Kong Oscar Fjord, la petite base danoise de Mesters Vig permet un accès aérien à la région au printemps, quand la mer est encore gelée.
En descendant du col Crescent vers le Nord - 28 Avril 1984.
Le massif est demeuré totalement inconnu jusqu'au début des années 50, époque où diverses reconnaissances ont été menées par des équipes scientifiques conduites par Lauge Koch. La première expédition alpine n'a eu lieu qu'en 1957, époque où la plupart des «8000» himalayens ont déjà été gravis, ce qui illustre bien l'isolement de ce massif. Il faudra encore attendre 10 ans et le printemps 1967 pour qu'un skieur de légende, l'italien Toni Gobbi, grand spécialiste du ski de raid dans les Alpes, découvre les Stauning. A partir d'un camp installé sur le glacier de Ber, il effectua un certain nombre d'ascensions en aller-retour, dont le Dunottar et le col Major. Enthousiasmé par le massif, Toni Gobbi y revient en 1969 et réalise alors le premier raid à skis à travers les Alpes de Stauning. Plus personne n'a skié dans les Stauning après Toni Gobbi avant notre raid de 1984.
Sur le glacier Dunottar - 2 mai 1984.
Les problèmes administratifs
Le massif des Stauning est situé à l'intérieur du Parc National du Groenland et il est nécessaire d'obtenir une autorisation pour y accéder. Les détails concernant la règlementation et le dossier à fournir se trouvent sur le site Internet en anglais du Gouvernement du Gröenland. Sans entrer ici dans le détail des formalités qui peuvent évoluer avec le temps, trois points importants sont récurrents.
L'autorisation est délivrée gratuitement mais souvent tardivement, parfois quelques jours seulement avant le départ.
Elle est longue à obtenir et il convient d'entreprendre les formalités au moins 6 mois avant la date prévue pour le début du voyage.
L'assurance des éventuels frais de recherche et de secours constitue le point-clef du dossier. Son prix est très élevé.
Départ de Mesters Vig - 6 Mai 1984.
L'accès et les problèmes de transport
L'accès en bateau au Kong Oscar Fjord est impossible au printemps et demeure aléatoire en été à cause de l'état des glaces sur la côte est. L'accès aérien a évolué au cours du temps; nous décrivons ci-après notre expédition de 1984 avant d'évoquer la situation 30 ans plus tard.
En 1984, les vols à destination de l'Islande partaient de Luxembourg et la base de Mesters Vig constituait la seule possibilité pour rejoindre le massif des Stauning au printemps.
Les séracs du glacier de Canta. 21 avril 1984.
Nous avons donc transporté par la route tout le matériel, les pulkas et les vivres de l'expédition de Paris à Luxembourg afin de les acheminer en fret aérien de Luxembourg à Reykjavik. Rappelons qu'à cette époque heureuse, prendre l'avion avec son piolet à la main et 60 cartouches de gaz dans ses bagages ne posait aucun problème ! Simultanément, nous avons affrété un petit avion auprès de la compagnie islandaise Nordurlands pour le transport de Reykjavik à Mesters Vig, aller et retour. Tout s'est bien passé.
Notre transport de Mesters Vig au Dammen, point de départ de l'expédition situé à 100km de Mesters Vig, s'est déroulé d'une manière très originale.
Le massif de Beaufort sur la rive droite du glacier de Sefströms - 19 Avril 1984.
Et du 12 ans d'âge !! 14 Avril 1984.
Plusieurs mois avant notre départ, j'ai écrit au chef de la base (Internet n'existait pas encore) pour lui demander s'il pouvait assurer notre transport en motoneige jusqu'au Dammen et quel en serait le prix. Trois mois plus tard, j'ai reçu la réponse suivante.
La base ne peut pas se charger de votre transport au Dammen. Mais, à titre privé, les membres peuvent vous acheminer là-bas avec leurs motoneiges personnelles. Le prix du transport est de un gallon impérial de whisky par personne transportée !
Le gallon impérial est une unité de mesure valant 4½litres. Comme nous serons 6, il faudra apporter 27 litres de whisky ! Le marché a été conclu sur ces bases et nous avons atterri à Mesters Vig avec nos 27 bouteilles !
Depuis cette époque, plusieurs changements importants ont eu lieu
1./ Il est maintenant facile de gagner l'Islande en avion au départ de Paris.
2./ Un aéroport est situé à Constable Point, sur la rive ouest du Hurry Fjord, à 100km au sud-est de Mesters Vig. Il est desservi par des lignes aériennes régulières partant, selon les époques, de Nuuk, ou de Reykjavik via Tasiilaq.
3./ Un hélicoptère est basé à Constable Point pour la desserte du village d'Ittoqqortoormiit situé à l'entrée du Scoresby Sund; il peut être utilisé pour rejoindre Mesters Vig ou d'autres lieux dans les Alpes de Stauning.
4./ Les contrôles de sécurité dans les aéroports sont devenus ce que chacun sait.
L'accès au massif des Stauning par le nord et la piste de Mesters Vig est toujours possible (à condition d'avoir l'autorisation d'accéder à la région). On rejoint Mesters Vig en affrétant un avion depuis Reykjavik.
Le glacier de Ber (Berbrae) et la Cima di Granito - 3 Mai 1984.
On peut aussi accéder aux Alpes de Stauning par le sud depuis Constable Point. De là, on peut soit utiliser un hélicoptère pour une dépose ou une reprise, soit effectuer une longue traversée à skis à travers la Terre de Jameson et le Nordvest Fjord ou la vallée de Schuchert. Chacun choisira.
Le matériel
Notre matériel de camping et de couchage était classique. Par rapport à notre voyage de 1982 en Terre de Baffin, nous avons remplacé les sacs de couchage en duvet par des sacs garnis en fibre synthétique de type Polarguard qui nous ont donné satisfaction. Nous avions un matériel d'alpinisme complet avec cordes, piolet, crampons, baudrier, mousquetons etc...pour les parcours sur les glaciers crevassés ainsi qu'un fusil contre les ours.
Descente du glacier de Canta dans la soirée du 22 avril 1984.
Cartes et documentation
Il n'existe qu'une série de cartes au 1/250.000ème de la région, disponibles en version papier. Ces cartes sont très insuffisantes pour effectuer un raid à skis. Il existe par contre d'excellentes photographies aériennes à une échelle de 1/50.000ème qui sont extrêmement utiles et très supérieures aux cartes. Les réseaux de crevasses apparaissent bien et l'itinéraire peut facilement être déterminé sur ces photos, même s'il est parfois difficile d'estimer la raideur des pentes. Rappelons qu'Internet, les GPS et les téléphones portables n'existaient pas en 1984.
Conséquence d'une très faible fréquentation, la documentation écrite est réduite. Un petit livre en anglais intitulé «Staunings Alps» rédigé par Donald Bennet date de plus de 40 ans. Son principal intérêt réside dans deux grandes cartes-esquisses au 1/100.000ème couvrant tout le massif et contenant plusieurs erreurs. Pour le reste, il faudra se contenter de quelques articles de revues rédigés par les rares expéditions à skis qui ont eu lieu dans les Stauning.
Le Furesoé vu du sommet du Snetoppen - 22 Avril 1984.
Le carnet de route
Notre équipe comprenait 6 personnes et le raid a été effectué en autonomie totale avec pulkas.
7 au 13 avril - Le siège de Reykjavik
Après un vol sans histoire de Luxembourg à Reykjavik, nous débarquons le 7 avril dans la capitale islandaise où nous avons subi la plus dure épreuve de l'expédition. A notre arrivée, le temps était mauvais sur l'Islande, ce qui est assez habituel, mais, situation plus rare et beaucoup plus grave pour nous, il était également très médiocre sur le nord du Groenland, de sorte que le petit avion qui devait nous transporter à Mesters Vig ne pouvait y atterrir.
Le sommet de Cantabrigia - 20 Avril 1984.
Il a donc fallu attendre, attendre et attendre encore. L'auberge de jeunesse de Reykjavik, où nous logions, est confortable et sympathique, mais chaque journée qui s'écoulait, une étape du programme que nous avions patiemment élaboré disparaissait. Le sixième jour de cette triste aventure, on envisagea sérieusement de remplacer les Alpes de Stauning par une traversée de l'Islande. Bien que le temps y soit exécrable, cela valait sans doute mieux que de se morfondre à Reykjavik. Enfin vint le septième jour et le coup de téléphone tant espéré, on part !
Le Hjornespitz sort de la brume, vue du Lambeth - 29 Avril 1984.
14 au 17 avril - Whisky, motoneige et baignade
Voyage tranquille jusqu'à Mesters Vig où le temps est splendide à notre arrivée. Ah, on les avait bien mérités les 22 jours de beau temps qui nous attendaient ici ! L'accueil des membres de la base est sympathique et, après avoir compté les bouteilles de whisky alignées à leur intention, ils acceptent de nous transporter à l'extrémité de l'Alpe Fjord, distant de 100km, avec leurs motoneiges personnelles. Le départ est fixé au surlendemain 16 avril. Le 15 avril, vrai premier jour de l'expédition, la journée se passe à préparer les pulkas pour cette chevauchée sur le fjord et à se remettre en jambes en allant gravir le sommet de 900m dominant la base. Montée facile et superbe descente face au Kong Oscar Fjord.
Le voyage vers l'Alpe Fjord fut difficile. Nous sommes assis au niveau du sol sur une petite luge en plastique de 1,5m de long, remorquée par une machine infernale qui pousse des pointes de vitesse à plus de 80km/h pour faire la course en soulevant des nuages de poudreuse. Par -20°C, c'est une situation qui ne manque pas de charme. On note de nombreuses traces d'ours et de loups près de la base. La remontée de l'Alpe Fjord est grandiose. Large de 3km, il est dominé sur ses deux rives par une muraille rocheuse de 1500m de hauteur s'élèvant d'un seul jet au-dessus de la mer.
Alpefjord et front du glacier de Gully vus du Dammen - 17 Avril 1984.
Dans sa partie amont, il est presque complètement obstrué par les deux glaciers de Gully et de Sefströms qui confluent dans le fjord en une chute de séracs de 4km de largeur. Seul, un étroit chenal, large de 400m et long de 4km, le chenal du Dammen, permet de passer entre les glaciers et la paroi rocheuse pour accéder à la partie amont de l'Alpe Fjord, appelée précisément le Dammen. Les motoneiges nous déposent à l'entrée du chenal du Dammen, nous saluons nos amis qui retournent à Mesters Vig et le camp (C1) est monté dans un cadre fantastique, sur la rive ouest du fjord. Désormais, nous sommes seuls pour trois semaines.
Le matin du 17 avril, par un temps superbe, deux cordées de trois skieurs, tirant chacun une pulka de 70kg, s'engagent sur le chenal gelé. Marc, Bernard et Lubomir, dans cet ordre, composent la première cordée tandis que Philippe, Pascal et Jacques forment la seconde. Les skieurs sont à corde tendue, à 25m les uns des autres, et les deux cordées se suivent à 100m de distance. La progression est facile et nous sommes engagés depuis 2km lorsque je sens la corde qui se tend brutalement derrière moi tandis que Bernard appelle à l'aide. La glace vient de céder sous le poids de Bernard qui a plongé dans l'eau glacée du fjord.
Montée au col Newnham - 21 Avril 1984.
Les sommets de Cantabrigia - 20 Avril 1984.
Il n'est plus retenu que par la corde et il a de l'eau jusque sous les bras. Sa pulka, en équilibre instable sur un glaçon flottant, s'apprête à se transformer en canot en attendant de jouer les sous-marins. Lubomir, qui a bloqué Bernard avec moi, résume la situation avec son inimitable accent slave en déclarant, imperturbable, «Bernard, ta pulka est en train de couler»! En se tractant sur la corde, Bernard parvient à remonter sur une plaque de glace stable, malgré la gêne que constituent ses skis demeurés fixés à ses pieds. Puis, tirant sur le harnais, il évite de justesse le plongeon de sa pulka au fond du fjord. La seconde cordée évite la zone dangereuse tandis que Bernard, trempé et transi, est conduit sur la rive pour sécher et se réchauffer. Après un strip-tease complet, Bernard met des vêtements secs et nous sommes prêts à repartir. Malgré une température de -25°C, l'alerte a été chaude et la corde a évité une véritable tragédie car, sans elle, Bernard serait mort d'hypothermie et entraîné vers le fond par sa pulka.
Dans les séracs du glacier de Canta - 21 Avril 1984.
Après ces fortes émotions, nous sortons du détroit et pénétrons dans le véritable sanctuaire des Alpes de Stauning, le Dammen. Le site du Dammen, sorte de mer intérieure dominée de tous côtés par des sommets de 2000 à 2500m de haut, où les glaciers convergent de toutes parts en poussant leurs séracs dans le fjord, compose un ensemble d'une beauté et d'un équilibre extraordinaires. De tous les paysages que j'ai eu le bonheur de contempler, le Dammen est celui dont j'ai conservé l'image la plus forte.
Après avoir rejoint la rive est du Dammen où nous faisons une pause méritée, la remontée du glacier de Sefströms commence. Mais la pente est raide, les pulkas sont lourdes et il est impossible de tout monter en une seule fois. Alors commence une série d'aller-retour, où chacun monte ce qu'il peut avant de descendre chercher ce qui reste. Après quelques heures d'efforts, les pulkas ont atteint l'altitude de 200m et le camp (C2) est installé.
Les Lambeth - 28 Avril 1984.
18 et 19 avril - Le glacier de Sefströms
La remontée des pentes de la rive gauche du glacier de Sefströms se poursuit par un temps superbe. De demi-pulka en quart de charge déposé à mi-pente, on parvient à franchir la moraine du glacier vers 500m d'altitude où une grande joie nous attend: à partir d'ici, le glacier est en pente douce, sans crevasses. Camp (C3) vers 550m.
En remontant le glacier de Sefströms - 18 Avril 1984.
Sur un terrain devenu facile, nous montons maintenant avec des pulkas chargées. Vues magnifiques sur les deux rives de ce glacier de 2km de largeur, dominé par des montagnes superbes, dont la face nord d'Attilaborgen et ses 1600m de hauteur. Camp (C4) vers 1100m, au pied des sommets de Beaufort et Kapelle.
Le massif d'Attilaborgen domine la rive gauche du glacier de Sefströms - 18 Avril 1984.
20 au 22 avril - Le Snetoppen
Le 20 avril, nous gagnons l'entrée du glacier de Canta où les pulkas sont déposées vers 1400m. Quittant alors le glacier de Sefströms avec les tentes, le matériel d'alpinisme et quatre jours de vivres, nous nous engageons sur le glacier de Canta en direction du Snetoppen, point culminant de la région à 2925m.
Le Snetoppen vu du glacier de Canta - 20 Avril 1984.
Magnifique et facile montée du bas glacier de Canta et camp (C5) à 1800m. Le lendemain, l'équipe part à travers les crevasses et les séracs du haut glacier de Canta.
Dans les séracs du glacier de Canta - 21 Avril 1984.
Superbe montée sous un ciel éblouissant et arrivée au pied du col Newnham. Le col est franchi skis sur le dos, avant une descente sur le versant sud et le camp (C6) à 2250m.
Le 22 avril, toute l'équipe part à pied vers le sommet. Très belle arrivée sur l'arête et sommet pour tous avec une vue extraordinaire sur le Dammen situé 3000m plus bas.
Sur le haut glacier de Canta - 21 Avril 1984.
Vers le sommet du Snetoppen - 22 avril 198
Philippe, qui a monté ses skis, regagne rapidement le camp (C6), les autres suivent à pied.
De retour au col Newnham, c'est avec un certain regret que nous regardons le glacier de Spörre où était prévu un raid de 4 jours qui sombra dans le désastre météorologique de Reykjavik. Une superbe descente au milieu des séracs du glacier de Canta, dans la lumière d'une soirée arctique, termine cette fabuleuse journée.
Les pulkas nous attendent sur le glacier de Sefströms pour dresser le camp (C7). Un ciel d'une limpidité rare, les séracs du glacier de Canta, l'arête sommitale, le col Newnham, la vue sur le Dammen, la descente à skis sous les lumières du soir et une découverte continuelle ont fait du Snetoppen une course d'anthologie, la course dont on se souvient entre mille autres, 30 ans après l'avoir faite.
Descente du glacier de Canta - 22 Avril 1984.
23 au 25 avril - Le col des Pulkas
Le temps est toujours parfait et nous partons en direction du glacier de Kirke avec les pulkas. La remontée de ce glacier s'effectue sous un chaud soleil qui rend l'ascension fatiguante. Installation du camp (C8) vers 1800m, dans un site superbe, au pied du sommet de Dreikant. Le 24 avril au matin, le ciel est un peu couvert mais la visibilité demeure bonne. Nous devons gagner le glacier de Lang et pour cela, il est prévu de traverser le col Churchill.
Arrivée sur le plateau supérieur du glacier de Canta - 21 Avril 1984.
Une reconnaissance sur le glacier de Kirke, au-dessus du camp, nous montre que le col Churchill se présente sous la forme d'un couloir raide et étroit de 250 à 300m de dénivelée qui sera très difficile à monter avec les pulkas. Partant alors vers Bavariaspitz, nous espérons trouver un autre passage pour gagner le glacier de Lang, ce qui paraît possible sur les photos aériennes. Le sommet est atteint sous un ciel gris et, au retour, allant explorer une petite arête dominant le glacier de Lang, Jacques trouve le bon passage. Une pente de neige haute de 300m, dont l'inclinaison ne dépasse pas 30°, descend jusqu'au glacier de Lang; elle doit être descendue ce qui, avec les pulkas, est plus simple que de monter. Ce passage inconnu, ne figurant sur aucune carte, sans doute jamais traversé, nous le baptisons «col des Pulkas». Pour aujourd'hui, retour au camp (C8) et demain grande première: descente du col avec les pulkas et répétition générale de cet exercice avant le col Major, où nous serons dans quelques jours.
Le col des Pulkas et la descente du col sur le glacier de Lang - 25 Avril 1984.
Le lendemain, après avoir monté une pente assez raide de 120m avec les pulkas, nous sommes prêts pour la descente. Une avalanche a balayé le couloir sur toute sa largeur et la ligne de rupture, exceptionnellement nette et continue, forme un mur de neige vertical de 2,5m de haut. Marc descend assuré dans le couloir et creuse avec une pelle un passage pour les pulkas. Faire descendre cette pente de 300m de haut à 6 pulkas de 60kg, sans les renverser, les briser ou perdre leur contenu nous a occupé toute la journée. A minuit, tout le monde est en bas, les pulkas sont en bon état, il fait jour et le camp (C9) est monté au pied du col.
26 au 28 avril - Les Diadèmes et le col Crescent
Le réveil du lendemain est tardif et une journée sans pulka est décidée afin de gravir l'un des sommets de la chaîne des Diadèmes dominant le glacier de Lang. Belle descente et retour au camp (C9). Le 27 avril, le temps est couvert avec du brouillard et une visibilité assez médiocre; ce sera le seul jour en plus de trois semaines. Départ avec les pulkas en direction du col Crescent. Le terrrain est facile mais nous sommes sur un glacier, la visibilité est faible, il tombe un peu de neige et nous formons deux cordées pour gagner aisément le col Crescent où est dressé le camp (C10).
Le col Crescent - 28 Avril 1984.
Le brouillard se disperse en fin de journée et le massif de la Dansketinde apparaît, dévoilant un ensemble de faces et d'arêtes de 1500m de hauteur. Le départ de ce lieu magique s'effectue à regrets, en descendant facilement le versant nord du col Crescent. On gagne ainsi la partie supérieure du glacier de Gully, dont une branche conduit au col Major. Remontée assez raide de ce glacier avec les pulkas, et camp (C11) installé entre le Lambeth et la Dansketinde, au pied du col Major.
Les sommets du Lambeth et le camp 11 - 28 Avril 1984.
29 et 30 avril - Le col Major
Le col Major est le passage-clef de la traversée des Alpes de Stauning. C'est en effet le seul col permettant de relier le glacier de Lang et le glacier de Ber, et donc de rejoindre Mesters Vig en venant de l'ouest. Son versant ouest, qui était notre itinéraire de montée, est facile mais à la descente, il se présente sous la forme d'un couloir «raide et très haut» d'après les rapports des diverses expéditions estivales, unanimes sur ce point. Il n'a jamais été franchi avec des pulkas mais, en 1967, l'expédition italienne de Toni Gobbi l'a gravi en aller-retour à partir d'un camp situé sur le glacier de Ber. Le 29 avril, le temps demeure parfait et, sans pulka, nous partons faire une reconnaissance au col Major. Il s'agit d'un couloir de neige haut de 600m et long de 900m, avec une pente moyenne de 40° et un départ à plus de 45°.
Le col Major, versant Est descenu avec les pulkas - 1ér Mai 1984.
Les grands piliers du sommet de Dunottar - 2 Mai 1984.
Une journé entière sera nécessaire pour faire descendre les pulkas mais cela passera. En attendant, nous partons faire l'ascension du Petit Lambeth d'où la vue est superbe sur le Knoxtinde et les montagnes dominant le glacier de Gully. Retour au camp (C11) avant la journée au col Major.
Pour faire descendre le col Major à nos 6 pulkas, nous disposons de 500m de cordelette de 4mm, bien suffisants pour retenir, sans choc, une charge de 60kg glissant sur une pente. A l'usage, la technique de descente s'avère plus subtile que prévu pour deux raisons.
La première est que l'on est obligé de laisser glisser la pulka assez lentement, sinon elle acquiert un mouvement accéléré qu'il est difficile de freiner avec une cordelette de 4mm. Mais si la pulka descend lentement, elle se bloque dans la neige et il faut aller la pousser dans la pente.
Glacier de Ber, muraille de Bertinde et camp 13 - 1ér Mai 1984.
La seconde provient du fait que 500m de cordelette de 4mm constituent un générateur de noeuds d'une puissance étonnante !
Au beau milieu de la manoeuvre, une erreur est commise sur un noeud de pêcheur qui se défait après 120m de descente, laissant une pulka terminer en chute libre. Elle éclate dans le bas du couloir, mais résiste, et son contenu est dispersé sur un hectare. Il faudra deux heures de recherches pour récupérer tout le matériel et les vivres jusqu'au dernier morceau de sucre! Enfin, après une journée d'efforts ponctuée des pires jurons imaginables, tout le monde arrive en bas avec sa pulka et le camp (C12) est monté au pied du col Major.
La pulka, incomparable sur les terrains plats et indispensable pour visiter l'Arctique au printemps, peut aussi être utilisée sur des reliefs accidentés; la traversée du col Major en constitue la meilleure démonstration.
1er au 4 mai - Le glacier de Ber et le Dunottar
Nous sommes maintenant sur le glacier de Ber qu'il faut descendre en franchissant deux zones crevassées bien visibles sur les photographies aériennes. En fin de journée, le camp (C13) est installé à proximité du glacier de Dunottar, dans l'un des endroits les plus spectaculaires du massif: le cirque de Bertinde.
Camp sur le glacier de Ber. Au fond, la muraille de Bertinde et ses 1600m de hauteur - 1ér Mai 1984.
Là, une magnifique muraille en arc de cercle de 1600m de hauteur ferme le glacier de Ber sur 4km de long. Quelques dizaines de premières attendent les amateurs. Niveau apparent: les Grandes Jorasses en février, avec 500m de dénivelée en plus.
Camp 13 sur le glacier de Ber. Au fond, Merchistontinde - 1ér Mai 1984.
Le site est somptueux, aussi décidons nous d'y passer trois nuits et d'aller faire l'ascension du sommet de Dunottar. Le 2 mai, départ sans pulka sur le glacier de Dunottar. Très longue et très belle montée qui s'achève au sommet pour tous sous la lumière déclinante d'une soirée arctique. Les grands piliers de la face sud, le Kong Oscar Fjord tout proche, la vue fabuleuse que l'on a du sommet, un ciel limpide et une atmosphère calme créent une ambiance d'une sérénité extraordinaire.
Après un long moment de silence, nous regagnons le camp (C13), encore sous l'émotiondes instants que nous venons de vivre.
En quittant le sommet de Dunottar - 2 Mai 1984.
Une ultime journée au coeur du massif nous conduit au pic Glamis, sur l'autre rive du glacier de Ber. Le 4 mai, nous poursuivons la descente du glacier de Ber dont la fin est un peu accidentée. On note de nombreuses traces de loups avant de rejoindre la vallée de Skel pour un dernier camp (C14).
5 et 6 mai - De Mesters Vig à Reykjavik
Une dernière journée sur la mer gelée nous ramène à Mesters Vig où l'accueil de la base est sympathique. Prévenu de notre retour, l'avion de la Nordurlands vient nous chercher le soir même pour le retour à Reykjavik où une dernière soirée à l'auberge bien connue précède notre retour en France.
Le massif de Cantabrigia - 20 Avril 1984.
Epilogue
La traversée des Alpes de Stauning? Une expédition difficile sur le terrain, surtout avec des pulkas, à cause de l'isolement, des crevasses et de la raideur des pentes. Une expédition coûteuse et difficile à organiser, en raison des complications administratives et des problèmes de transport. Mais il s'agit d'un massif d'une fabuleuse beauté, offrant des possibilités illimitées de raids à skis magnifiques et inédits. C'est une apothéose du ski de montagne sous sa forme la plus pure et la plus belle.
La partie supérieure du glacier de Canta. Au fond, le glacier de Sefströms - 21 Avril 1984.
Bibliographie
Staunings Alps, livre de Donald Bennet. The expedition library, West Col Productions, 1972.
L'expédition de 1984 décrite ici figure également dans un article de la revue La Montagne, N°2/1985 et dans le livre «Ski Nordique», collection des Cent plus belles, Denoël, 1989.
www.climbgreenland.com est le site de l'agence Tangent qui a organisé un raid à skis dans la partie sud des Stauning en 2014.
Marc Breuil, Pascal Elleaume*, Jacques Giraud, Lubomir Krizenecky**, Philippe Nonin et Bernard Odier ont découvert les Alpes de Stauning du 14 avril au 6 mai 1984.
*Pascal a été emporté par une avalanche le 19 mars 2011 dans les Alpes du Sud.
**Lubomir nous a quittés en août 2012, après une longue maladie.
Au camp 8, de G à D: Bernard, Marc, Lubomir, Jacques et Pascal. Philippe a pris la photo - 24 Avril 1984.