Terre de Baffin: Traversée Clyde River – Pond Inlet

Terre de Baffin : Fjords Eglinton, SamFord, Gibbs
9 mai 2016
Le ski pulka
10 mai 2016

 

La  Traversée  Clyde River - Pond Inlet
Avril - Mai 2005

Un magnifique massif montagneux s'étend sur la côte nord de l'île de Baffin et des sommets spectaculaires, atteignant jusqu'à 2000m d'altitude, plongent dans la mer suivant des faces verticales de plus de 1000m de hauteur. Les villages de Clyde River et de Pond Inlet sont idéalement situés aux deux extrémités de la plus belle partie de cette région. La traversée à skis "Clyde-Pond" s'impose donc comme une évidence à tous ceux qui veulent effectuer un grand raid à skis engagé dans un cadre fabuleux.

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Le camp 14 sur Gibbs Fjord. 21 avril 2005.

Le camp 14 sur Gibbs Fjord - 21 avril 2005.

Grand Nord ! Ces deux simples mots symbolisent un monde de légendes, un univers mythique, irréel, vaste désert de glace secoué par les tempêtes, d'où émergent parfois des images d'igloos, d'ours polaires ou de traîneaux à chiens. Qui n'a pas rêvé un jour à ces terres étranges, où le soleil brille encore à minuit, où les rivières sont des fleuves de glace et où l'on peut marcher sur la mer ?

Le nord du Canada, dont la plus grande partie, peuplée d'Inuits, forme aujourd'hui la province du Nunavut, représente sans doute le Grand Nord le plus typique. Ce territoire, quatre fois plus vaste que la France, est un archipel dont l'essentiel est constitué par les Terres de Baffin et d'Ellesmere. Le Nunavut compte à peine trente mille habitants regroupés autour de sa capitale, Iqaluit, et dans une vingtaine de villages, situés au bord de la mer et peuplés chacun par quelques centaines de personnes. C'est dire que l'espace ne manque pas.
La Terre de Baffin est l'endroit le plus intéressant du Nunavut aussi bien pour le skieur que pour le grimpeur. Contrairement à une idée fausse mais largement répandue, le Grand Nord n'est pas "tout plat".

Béatrice et le chien au camp 24 sur Buchan Gulf. 4 mai 2005.

Béatrice et le chien au camp 24 sur Buchan Gulf - 4 mai 2005.

Le camp 19 sur le plateau des Bruce Mountains. 29 avril 2005.

Le camp 19 sur le plateau des Bruce Mountains - 29 avril 2005.

 

Un magnifique massif montagneux s'étend sur la côte nord de l'île de Baffin et des sommets spectaculaires, atteignant jusqu'à 2000m d'altitude, plongent dans la mer suivant des faces verticales de plus de 1000m de hauteur. Séparées entre elles par fjords et glaciers, ces parois font le bonheur des spécialistes du saut libre et donnent des insomnies aux meilleurs grimpeurs de la planète. Dans ce cadre exceptionnel, des courses de ski de randonnée "classique" sont réalisables un peu partout, tandis que les fjords constituent un terrain de prédilection pour de grandes traversées à skis avec pulka au printemps.

Comparés à d'autres régions arctiques, ces lieux magiques sont d'un accès assez simple puisque 4 villages, desservis par des lignes aériennes régulières au départ d'Ottawa, jalonnent les côtes du nord et de l'est de la Terre de Baffin. Il suffit donc d'acheter un billet d'avion pour se retrouver, 48 heures plus tard, au coeur du Nunavut.

Le camp 13 sur Gibbs Fjord. 20 avril 2005.

Le camp 13 sur Gibbs Fjord - 20 avril 2005.

Parmi ces villages, ceux de Clyde River et de Pond Inlet sont idéalement situés aux deux extrémités de la plus belle partie des montagnes de la côte nord. La traversée à skis " Clyde-Pond " s'impose donc comme une évidence à ceux qui veulent effectuer un grand raid engagé dans un cadre fabuleux. Nous avons eu le bonheur de réaliser cette traversée au printemps 2005.

Béatrice descend Coutts Inlet. 10 mai 2005.

Béatrice descend Coutts Inlet - 10 mai 2005.

 

La traversée Clyde - Pond

La traversée Clyde-Pond, intégralement réalisable à skis avec une pulka, a une longueur de 750km à travers les fjords et les paysages spectaculaires de l'intérieur. En quittant Clyde River, une zone de collines d'un intérêt moindre s'étend sur une centaine de kilomètres jusqu'au lac d'Ayr, véritable point de départ de la traversée que l'on peut rejoindre en motoneige. La distance à parcourir à skis est alors de 650km sur les fjords ou à travers des cols faisant communiquer les fjords entre eux.

Il n'y a aucune ressource le long du parcours, Clyde River et Pond Inlet étant les seuls lieux habités à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde. La traversée doit donc être effectuée en autonomie complète, mais il est possible d'organiser un ravitaillement sur Clark Fjord, aux environs du 200ème kilomètre.
La traversée dure environ 35 jours, auxquels il convient d'ajouter 3 ou 4 jours d'arrêt pour cause de mauvais temps et 3 jours supplémentaires pour les ennuis prévisibles (un col difficile à franchir, un fort vent de face, une trace profonde à faire avec les pulkas etc...) ce qui est peu mais conduit à un total de 6 semaines. La nourriture et le carburant doivent donc être emportés pour 7 semaines afin de faire face à un imprévu. En fait, après divers incidents et pas mal de vent au cours de la première partie, nous avons mis 23 jours pour effectuer les 17 premières étapes mais 20 jours seulement pour les 20 dernières soit un total de 37 étapes en 43 jours.

 

Le camp 8 sur Walker Arm à l'entrée de Stewart Valley. 15 avril 2005.

Le camp 8 sur Walker Arm à l'entrée de Stewart Valley - 15 avril 2005.

 

 

Au printemps, le temps est assez beau avec peu de précipitations, cependant un vent en rafales peut souffler un jour par semaine. L'arctique subit l'augmentation des températures constatée un peu partout dans le monde. En 2005, nous avons mesuré un minimum de -21° seulement la première semaine d'avril. 25 ans plus tôt, à la même époque et dans la même région, le thermomètre était toujours au-dessous de -30°. La banquise est donc de plus en plus mince, son extension se réduit et, cette année, la mer était libre de glaces au large de Clyde River le 18 mai. 

Marc et son chien près de Maud Harbour. 3 mai 2005.

Marc et son chien près de Maud Harbour - 3 mai 2005.

En remontant Gibbs Fjord à la base de la rive nord. 23 avril 2005.

Géraldine tire sa pulka le long de la rive nord de Gibbs Fjord - 23 Avril 2005

Les ours polaires sont présents dans tous les fjords où se situent souvent leurs tanières. Les femelles mettent bas en décembre en donnant naissance à 1 ou 2 oursons ne pesant guère plus de 500g, ce qui est extrêmement faible pour un animal de cette taille. En avril, les jeunes oursons font leurs premiers pas, solidement gardés par maman ourse. Au printemps suivant, âgés alors de 16 à 18 mois, ils pèsent plus de 100kg mais suivent encore leur mère qui les chassera au cours de l'été. Il faudrait un livre entier pour raconter toutes les histoires d'ours qui se sont déroulées ici et la prudence incite à emmener un fusil et un ou deux chiens. Le fusil pour faire peur, et éventuellement se défendre, les chiens pour avertir de l'arrivée des nounours lorsque l'on dort.

Montée vers Stewart Valley. Au fond, Walker Arm - 16 Avril 2005

L'organisation du raid reposait sur une petite équipe composée de Géraldine, Pascal, Béatrice et Marc. Seuls ces derniers avaient prévu d'effectuer toute la traversée, Pascal et Géraldine devant rentrer en France au bout de 3 semaines. Notre ami Inuit Lévi Palituq, qui habite Clyde River, nous a transportés jusqu'au point de départ. Il est revenu vers nous sur le fjord de Clark afin de récupérer Géraldine et Pascal en déposant un chien et 30 jours de vivres pour Béatrice et Marc qui ont poursuivi leur route jusqu'à Pond Inlet.

 

 

31 mars - 4 avril - Le prélude

Cette période est souvent marquée par des interrogations angoissées du type " Ma pulka sera-t-elle à l'arrivée ? " ou " Le flair des douaniers canadiens va-t-il détecter les saucissons ? ". Ces questions ne sont pas sans objet et Géraldine découvre à Montréal qu'Air Canada a oublié son carton de vivres à Paris. Quelques dizaines de coups de téléphone permettent au carton de rejoindre Clyde River. Les saucissons ont été interceptés et nous avons perdu 2 jours avant même d'être partis.

Béatrice à la sortie de Coutts Inlet vers le camp 30. 10 mai 2005.

Béatrice à la sortie de Coutts Inlet vers le camp 30 - 10 mai 2005.

Notre chien Kouldjak se repose sur Dexterity Fjord - 1ér Mai 2005

 

5 avril - Le départ

 

A l'inverse des Groënlandais, les Inuits du Nunavut ont malheureusement remplacé les traîneaux à chiens par des motoneiges bruyantes et polluantes. Actuellement, quelques dizaines de chiens seulement demeurent encore à Clyde River pour promener des touristes fortunés en mal d'aventures, mais les habitants effectuent tous leurs déplacements en motoneige.

 

 

 

C'est donc ainsi que Lévi nous transporte avec 3 semaines de vivres et 2 chiens de Clyde River jusqu'au lac d'Ayr situé à environ 90km. Ces trajets motorisés sont fort désagéables et constituent la partie la plus éprouvante du séjour. Immobile dans une caisse en bois sans le moindre amortisseur, ballotté au gré des chaos de la banquise, transi par le froid ambiant et le déplacement de l'engin, le randonneur sort de cette épreuve peu enclin à renouveler l'expérience.

Dans Stewart Valley - 18 Avril 2005

Le camp 13 sur Gibbs Fjord. 20 avril 2005.

Le camp 13 sur Gibbs Fjord - 20 avril 2005.

Le camp 7 sur le Sam Ford Fjord à l'entrée de Walker Arm. 14 avril 2005.

Le camp 7 sur le Sam Ford Fjord à l'entrée de Walker Arm - 14 avril 2005.

 

6 au 9 avril - Du lac d'Ayr au fjord d'Eglinton

Après une première nuit sous la tente, c'est le vrai départ. Nos chiens, un mâle et une femelle, sont plus intéressés par une vérification permanente des lois de la nature que par la détection des ours. Nous devons les tenir attachés car ils ne sont pas encore habitués à nous. Un vent violent nous bloque une journée. Dans la vallée conduisant au fjord d'Eglinton, suite à une glissade malencontreuse, nous faisons l'erreur de lâcher les chiens quelques secondes.

 

 

Ils en profitent et s'enfuient immédiatement. Personne ne les reverra jamais. Nos appels et nos recherches restent vains. Privés de nourriture, incapables de chasser, trop éloignés de leur habitat pour le retrouver sur un terrain qu'ils ne connaissaient pas, ils sont sans doute morts de faim après quelques jours d'errance et leurs corps ont nourri les renards et les ours.

 

 

 

Le fond d'Eglinton Fjord. 8 avril 2005.

Le fond d'Eglinton Fjord - 8 avril 2005.

Aiguille du Belvédère (1450m, à G) et Broad Peak (1750m, à D) vus de Walker Arm. 14 avril 2005.

Aiguille du Belvédère (1450m, à G) et Broad Peak (1750m, à D) vus de Walker Arm - 14 avril 2005.

 10 au 15 avril - Baignade sur le fjord de Sam Ford

Ayant abandonné tout espoir de revoir nos chiens, nous quittons le fjord d'Eglinton pour gagner le fjord de Sam Ford en franchissant le col qui les sépare, le Revoir Pass. Après une journée d'arrêt à cause du vent, la descente sur le fjord de Sam Ford se déroule sur une rivière gelée. Pas suffisamment gelée et Marc, qui a remplacé ses skis par des crampons, casse la croûte de glace et tombe à l'eau. Vêtements trempés jusqu'aux épaules, sortie difficile car la glace se brise tout autour et choc thermique sont les conséquences de cette grave erreur de jugement. Malgré les vêtements secs et les chaussures prêtés par ses compagnons, Marc n'est pas en état de poursuivre aujourd'hui et un arrêt séchage s'impose.

Ses bottes en feutre ont absorbé beaucoup d'eau qui a gelé et ses vêtement sont recouverts d'une carapace de glace. Une journée entière sera consacrée à la remise en état du baigneur et de ses accessoires, avec l'aide déterminante de nos réchauds.

Le fjord de Sam Ford est l'endroit le plus spectaculaire de la région. Ses deux rives présentent une succession de parois verticales, entrecoupées par des glaciers qui atteignent la mer. La hauteur des murailles, qui atteint 1700m pour la face est du Broad Peak, la beauté et la variété de leurs formes, le mélange du granite, de la glace et de la mer gelée procurent une forte émotion esthétique. Diverses ascensions offrant une vue panoramique sur le fjord, constituent les moments forts d'un raid à skis sur l'île de Baffin.

Géraldine, Pascal et Béatrice de G à D sur Walker Arm. Au fond, aiguille du Belvédère (1450m). 14 avril 2005.

Géraldine, Pascal et Béatrice de G à D sur Walker Arm. Au fond, aiguille du Belvédère (1450m). 14 avril 2005.

16 au 23 avril - Premiers phoques sur le fjord de Gibbs 

Les Sail Peaks dominent Stewart Valley. 18 avril 2005.

Les Sail Peaks dominent Stewart Valley - 18 avril 2005.

 

 

La vallée de Stewart permet de rejoindre le fjord de Gibbs. Les grandes faces granitiques des Sail Peaks dominent le fond de la vallée occupé par une série de lacs. L'entrée et la sortie de la vallée, encombrées de blocs morainiques peu aisés à franchir avec une pulka, nécessitent 2 jours d'effort séparés par une belle traversée au pied des Sail Peaks. 

En arrivant sur le fjord de Gibbs, nous apercevons les premiers phoques. De loin, une simple petite tache noire sur la neige. Les phoques, mammifères marins, doivent sortir de l'eau pour respirer. Lorsque la mer est gelée, ils maintiennent un trou dans la glace, appelé aglou, qui leur permet de venir respirer sur la banquise. Parfois, la mère et son petit sont côte à côte sur la glace.

Ils plongent dès qu'ils détectent la moindre présence car les ours repèrent les aglous et attendent patiemment la sortie du phoque, cachés derrière un tas de neige, pour bondir sur lui et le tuer d'un coup de patte. Nous relevons les empreintes très fraîches d'une ourse et d'un ourson puis, le lendemain, les traces d'un aglou entouré des restes sanglants du phoque qui a terminé son existence ici.

Géraldine remonte Gibbs Fjord. 21 avril 2005.

Géraldine remonte Gibbs Fjord - 21 avril 2005.

24 au 27 avril - Le rendez-vous

Après le parcours sur le fjord de Gibbs et une journée perdue à cause du vent, nous pénétrons dans le fjord de Clark au milieu des aglous de phoques et des traces d'ours. A chaque instant, on s'attend à voir surgir une forme blanche des blocs de glace et de rochers qui bordent le fjord. Finalement, nous ne verrons pas d'ours mais ils sont bien là, nous ont sans doute vus et ont préféré ne pas se montrer. Dans la soirée du 25 avril, nous atteignons l'endroit fixé pour le rendez-vous du lendemain avec Lévi et l'attente commence.

Renard arctique très intéressé par le contenude la pulka !

Nous recevons la visite d'un renard polaire dont le pelage se confond avec la neige. Peu farouche, car il n'a sans doute jamais vu d'hommes, il prend un à un les morceaux de fromage que nous lui tendons, part les cacher en un lieu connu de lui seul et revient quelques minutes plus tard chercher le morceau suivant. Les renards arctiques sont familiers de ce genre de pratique et, à l'image des fourmis, utilisent les jours d'abondance pour préparer les périodes de disette.
Lévi n'arrivera que dans la soirée du 27 avril. Comme convenu, il dépose un chien et 4 semaines de vivres à notre intention puis repart aussitôt avec Géraldine et Pascal.
Nous sommes seuls. Nous avons un chien, un fusil, des vivres pour un mois et 460km nous séparent encore de Pond Inlet .

 

 

28 au 30 avril  -  Solitude dans les Bruce Mountains

 

Le 28 avril au matin, nous quittons le fjord de Clark pour traverser les Bruce Mountains. La montée sur le plateau est lente, mais la vue sur le fjord qui s'éloigne peu à peu est superbe. Le lendemain, un fort vent de face s'est levé, le ciel est couvert, la visibilité faible, il neige et les pulkas pèsent maintenant 70kg. La journée fut rude sur le plateau des Bruce Mountains.

Montée de Clark Fjord vers les Bruce Mountains. Au fond, Sillem Island. 28 avril 2005.

Montée de Clark Fjord vers les Bruce Mountains. Au fond, Sillem Island. 28 avril 2005.

Sur le plateau des Bruce Mountains. 28 avril 2005.

Sur le plateau des Bruce Mountains - 28 avril 2005.

 

 

 

Le mois d'avril s'achève alors que nous quittons les Bruce Mountains. Une descente facile au milieu des traces de lièvres, renards, loups et caribous va nous conduire sur les rives du fjord de Dexterity. Alors que le fjord est en vue, nous devons suivre le lit d'une rivière qui méandre interminablement. Trois heures durant, nous pensons atteindre le fjord dans 5 minutes. Nous y parviendrons dans la lumière du soir.

1 au 6 mai - Emotions sur le fjord de Cambridge

Après 3 jours passés avec nous, le chien prend ses habitudes et ne paraît plus avoir envie de s'enfuir. C'est un mâle vigoureux, assez indifférent aux traces de renards ou de lièvres mais très attiré par les traces de loups. Il est nourri tous les soirs avec des croquettes qu'il apprécie beaucoup car il se jette dessus férocement et les engloutit en quelques minutes. Il avale régulièrement de la neige quand il a soif et transporte ses sacs de nourriture en tirant une petite luge. Pour la nuit, nous l'attachons solidement sur une broche vissée dans la glace. Quels que soient le temps et la température, il dort dehors, couché en boule, le nez protégé du froid sous la queue et se laisse recouvrir par la neige en cas de vent.

Le camp 23 vers Maud Harbour. 3 mai 2005.

Le camp 23 vers Maud Harbour - 3 mai 2005.

Après 2 jours de progression sur le fjord de Dexterity puis sur Patterson Inlet, nous sommes en vue de Maud Harbour, fjord étroit ouvrant sur le large, ayant servi de port naturel à des baleinières. A la sortie de Maud Harbour, l'itinéraire oblique vers l'ouest et suit pendant quelques kilomètres la côte nord de l'île de Baffin, face au détroit de Lancaster, et rien n'arrête la vue vers le nord.

Maud Harbour

Maud Harbour - 4 Mai 2005

Notre tente n'est qu'un minuscule point sur l'immensité de la banquise, à peu près au milieu de la traversée, à plus de 300km de Pond Inlet et de Clyde River. Nous ne sommes que deux et réalisons subitement, dans la soirée du 4 mai, qu'il n'y a strictement personne à moins de 300km de nous. Fabuleuse sensation que seuls les navigateurs solitaires ont le privilège de connaître.

Départ du camp 20 sur Dextérity Fjord le 1ér mai 2005.

Départ du camp 20 sur Dextérity Fjord le 1ér mai 2005.

Dans l'après-midi du 5 mai, nous parvenons à l'entrée du fjord de Cambridge. Béatrice, hantée par les loups, regarde vers le fjord et s'écrie "Regarde, il y a une meute de loups là-bas, j'ai vu quelque chose bouger". Arrêt et observation. Ces loups avec un pelage couleur ivoire sont en fait 3 ours de belle taille. Il y a une ourse, un ourson d'un an et demi qui a sensiblement la taille d'un adulte mais suit encore sa mère et un gros mâle. Ils nous ont vus et ne sont pas très loin mais ne s'enfuient pas.

Le camp 25 sur le Cambridge Fjord. 6 mai 2005.

Le camp 25 sur le Cambridge Fjord - 6 mai 2005.

C'est la première fois que nous voyons 3 ours ensemble. Instruits par des expériences précédentes, nous sortons le fusil par précaution. Un coup de feu en l'air ne les impressionne pas du tout. Finalement, nous continuons notre route en les surveillant de près. Le mâle s'en va lentement tandis que l'ourse et l'adolescent se dirigent vers ce qui doit être leur tanière. Nous avions prévu de camper ici mais nous irons 5km plus loin ce qui nous permettra de monter la tente dans le site fabuleux du fjord de Cambridge. Au printemps 2001, 4 guides français du Groupe Militaire de Haute Montagne, dont Antoine de Choudens et Philippe Renard qui devaient malheureusement disparaître peu après, ont ouvert ici une voie d'anthologie de plus de 1000m de hauteur qu'ils ont baptisée " Sous l'oeil de Nanouk ". 

7 et 8 mai - Le Weber Aller Pass

 

 

 

 

Le 7 mai, nous devons franchir le Weber Aller Pass, qui fait communiquer les fjords de Cambridge et de Coutts. Nous n'avons guère d'informations sur ce passage dont nous ne sommes pas parvenus à déterminer la difficulté sur les photos aériennes. 

A l'usage, il s'agit d'un canyon de 2km de long, très étroit et profondément encaissé entre deux parois verticales de 200m de hauteur. Le fond de ce canyon, où un torrent coule en été, est obstrué par de gros blocs de rochers et une épaisse couche de neige s'y est accumulée.

Béatrice dans le canyon du Weber Aller Pass - 7 mai 2005.

Un glacier sans nom se jette dans Quernbiter Fjord à l'entrée de Icy Arm. 6 mai 2005.

Un glacier sans nom se jette dans Quernbiter Fjord à l'entrée de Icy Arm - 6 mai 2005.

En arrivant au camp 28 à Coutts Inlet. 8 mai 2005.

En arrivant au camp 28 à Coutts Inlet - 8 mai 2005.

A pied, il n'y aurait aucun problème, mais avec des skis, deux pulkas qui pèsent encore 60kg chacune, un chien et sa luge, la situation est différente. C'est le seul passage difficile de la traversée et nous mettrons une journée entière pour le franchir. Parvenus à la sortie du canyon, nous devons encore contourner le front d'un grand glacier avant de déboucher sur un terrain facile qui nous conduira au fjord de Coutts. La descente à skis sur le fjord est une grande émotion car nous sommes maintenant certains d'atteindre Pond Inlet, même si ce n'est pas le jour prévu. L'arrivée dans la lumière du soir, une solitude totale, le camp sur une terrasse dominant le fjord, une scène d'une beauté et d'une majesté extraordinaires.

Montée vers Stewart Valley. Au fond, Walker Arm - 16 Avril 2005

9 au 11 mai - Le dernier fjord

Alors que nous progressons sur le fjord de Coutts en luttant contre un fort vent de face, Béatrice me fait de grands signes en montrant la rive du fjord. " un ours " me dit-elle.

Béatrice sur Coutts Inlet. 10 mai 2005.

Béatrice sur Coutts Inlet - 10 mai 2005.

Je regarde et ne vois rien. Puis, un animal qui ne ressemble pas du tout à un ours, s'avance en trottinant. Il s'agit d'un caribou, sans doute séparé de son troupeau et qui paraît perdu. S'il continue à errer tout seul sur le fjord, il servira de nourriture à un loup.
Le 10 mai, le vent s'est calmé et un paysage magnifique changeant continuellement s'offre à nous. Des effets de brume sur un immense glacier et sous les lumières rougeoyantes du soir terminent cette journée de bonheur. Le lendemain nous quittons le fjord de Coutts pour déboucher sur la côte nord de l'île de Baffin que nous allons suivre jusqu'à Pond.

 

Glacier sur le fjord de Coutts - 9 Mai 2005

12 au 17 mai - La fin : du cap Coutts à Pond Inlet

 

 

Au fur et à mesure que l'on quitte le fjord pour aborder la côte, l'état de la neige se modifie. Au lieu d'une neige durcie par le vent sur laquelle les pulkas glissaient facilement, nous rencontrons maintenant de la neige fraîche, profonde, pulvérulente, dans laquelle les pulkas enfoncent ce qui nécessite de faire la trace. Exercice pénible lorsque les pulkas sont lourdes et que deux skieurs seulement peuvent tracer.

Excès d'alcool, boussole en panne ou moment de fatigue ? Vers le cap McCulloch. 12 mai 2005.

Excès d'alcool, boussole en panne ou moment de fatigue ? Vers le cap McCulloch - 12 mai 2005.

Immensité et solitude. Vers le cap McCulloch - 11 Mai 2005

Vers le cap McCulloch. 13 mai 2005.

Vers le cap McCulloch - 13 mai 2005.

 

 

 A partir du cap Coutts, la situation empire car une croûte de regel, située 30cm sous la surface, se brise lors de notre passage. Nous bataillons deux longues journées pour rejoindre le cap Mac Culloch. Le chien, qui s'enfonce dans la neige et peine à tirer sa luge, termine ces deux journées encore plus épuisé que nous. 

 Alors que les conditions de neige s'améliorent un peu, nous remarquons de nombreux phoques alignés sur la banquise. Peu après, notre route est barrée par des fissures dans la glace de mer qui marquent le début de la dislocation de la banquise. Ces fissures, sorte d'aglous naturels, sont utilisées par les phoques pour venir respirer à la surface ce qui explique à la fois leur présence et leur position alignée. Il est impossible de contourner ces fractures car elles se développent sur plusieurs kilomètres de longueur et il faut impérativement les franchir. Leur largeur dépasse un mètre, leurs bords ne sont pas francs, l'eau apparaît et une chute serait gravissime. Nous passons donc à skis encordés, puis les pulkas sont tractées avec la corde.

Aglou de phoque sur Gibbs Fjord. 21 avril 2005.

Aglou de phoque sur Gibbs Fjord - 21 avril 2005.

Sur Patterson Inlet. 2 mai 2005.

Sur Patterson Inlet - 2 mai 2005.

Quant au chien, il refuse absolument de traverser dès qu'il voit de l'eau. Nous tirons vivement sur sa laisse et, débarassé de sa luge, il finit par sauter. Cette opération prend du temps et malgré 12 heures de marche, nous avons perdu tout espoir de franchir, en 2 jours, les 70km qui nous séparent encore de Pond Inlet.
Le 16 mai au matin, l'ambiance est sinistre : temps couvert, brume, flocons de neige, trace profonde et certitude d'avoir raté l'avion. Malgré tout, nous repartons. Après 7 ou 8km, la côte change de direction et oblique vers l'ouest. A partir de là, un véritable miracle se produit. La neige change complètement, devient dure, lisse et gelée tandis qu'un fort vent d'est se met à souffler et nous propulse littéralement vers Pond Inlet.

Nous forçons l'allure car les pulkas se sont allégées et le chien nous suit facilement, visiblement heureux de pouvoir enfin courir. A ce rythme, nous stoppons en vue de l'île de Beloeil après une glisse de 45km. Ce n'est pas sans émotion que nous montons la tente pour la 36ème et dernière fois de la traversée. Demain, nous serons à Pond Inlet, mais il y aura d'autres traversées.

Sur le North Arm Fjord. 11 mai 2005.

Sur le North Arm Fjord - 11 mai 2005.

Le 17 mai, nous bouclons les 25 derniers kilomètres et, dans la soirée, nous tirons nos pulkas dans les rues de Pond Inlet, sales et fatigués mais rayonnants de bonheur.

Epilogue

 Pourquoi avoir fait cette traversée ?  Certainement pas pour réaliser un exploit sportif qui n'existe pas ici. La condition physique, les muscles, l'entraînement ? Balivernes que tout cela. Dans une telle entreprise, seuls comptent le moral et la motivation. Ceux qui ne sont pas  en forme au départ le seront à l'arrivée. Encore moins dans un quelconque esprit de compétition qui nous a toujours paru incompatible avec la nature même du ski de randonnée. Pas davantage pour des descentes dans une poudreuse de rêve, impossibles avec une pulka !
Alors, pourquoi ? Pour des paysages fantastiques que l'on ne trouve nulle part ailleurs ? Pour une ambiance et des camps exceptionnels sous les lumières du nord ? Pour l'isolement et un engagement important ? Oui, bien sûr, pour tout cela. Mais aussi, et surtout, pour un retour aux sources mêmes du ski, sport de liberté, de solitude, de grands espaces et de traversées. Et pour la liberté de parcourir des espaces immenses dans une solitude complète, la traversée "Clyde-Pond" est une magnifique aventure.

Informations diverses

Sur Coutts Inlet. 10 mai 2005.

Sur Coutts Inlet - 10 mai 2005.

Formalités administratives : Pour l'instant, aucune autorisation particulière n'est exigée dans la région concernée. Cette situation est susceptible d'évoluer car il existe un projet de classement de la région des fjords à l'ouest de Clyde River en Parc National Canadien.

Ressources locales : Clyde River compte 900 habitants, un hôtel et deux supermarchés sur lesquels il vaut mieux ne pas compter pour faire ses courses. Pour les services sur place (chiens, motoneige, logement chez l'habitant, essence etc...), consulter www.explorenunavut.com/clyderiver.php

Cartographie : Tout le Canada est couvert par une bonne carte topographique au 1/250.000ème. Cette échelle est suffisante pour s'orienter sur les fjords. Pour couvrir la traversée Clyde-Pond, feuilles «Clyde River», «Conn Lake», «Buchan Gulf», «Nova Zembla Island», «Scott Inlet» et «Pond Inlet». Il existe également une série de cartes au 1/50.000ème. Consulter www.sst.rncan.gc.ca pour commander ces cartes.

Rive nord de Stewart Valley. 18 avril 2005.

Rive nord de Stewart Valley. 18 avril 2005.

 

 

 

 

Photos aériennes : Pour établir un itinéraire en dehors des fjords, il est intéressant d'avoir les photos aériennes qui montrent les détails du terrain, notamment les zones crevassées. Consulter www.photosaeriennes.rncan.gc.ca pour obtenir ces clichés.  

Arme : On peut louer un fusil sur place. La restitution est simple si l'on revient à son point de départ, plus compliquée si l'on effectue une traversée. Il est assez facile d'apporter un fusil depuis la France. Les formalités consistent à :

- Déclarer l'arme à la compagnie aérienne en précisant ses caractéristiques au moment de l'achat du billet d'avion.

- Mettre dans deux colis séparés le fusil d'une part, les balles et la culasse d'autre part.

- Télécharger sur www.gc.ca rubrique "Armes à feu", le formulaire de déclaration d'armes à feu pour non-résidents en trois exemplaires. A l'arrivée, déclarer l'arme à la douane, remettre les formulaires et payer 50$ canadiens.

Chiens : On peut louer un ou deux chiens à Clyde River à condition de les avoir réservés à l'avance. Il est possible de les restituer à Pond Inlet.

 

 

 

 

 

 

Ravitaillement et carburant : Tout le ravitaillement est à amener depuis la France. Les charcuteries sont interdites et la douane canadienne veille. Pour l'essence, intransportable en avion, on trouve sur place du "white gas", équivalent de l'essence C, parfait pour les réchauds. Prévoir des bouteilles métalliques vides et parfaitement étanches. 

La citadelle domine Walker Arm. 15 avril 2005.

La citadelle domine Walker Arm, - 15 avril 2005.

Equipement : Il est devenu très classique. Pour des détails concernant le matériel, on peut consulter le livre "La logistique des expéditions polaires à skis" publié sous la direction de Pascal Lièvre chez GNGL Productions.

Marc Breuil et Béatrice de Voog ont effectué la traversée de Clyde River à Pond Inlet  entre le 5 Avril et le 17 Mai 2005. Ils étaient accompagnés de Pascal Lièvre et Géraldine Rix jusqu'à Clark Fjord.

Cartes

BAFFIN 2005 - Carte 1

Le départ de Ayr Lake à Clark Fjord, étapes 1 à 17.

BAFFIN 2005 - Carte 2

De Clark Fjord à Paterson Inlet, étapes 17 à 23.

BAFFIN 2005 - Carte 3

De Paterson Inlet à Coutts Inlet, étapes 23 à 31.

BAFFIN 2005 - Carte 4

De Coutts Inlet à Pond Inlet, étapes 31 à 37.

Marc dans la traversée des Bruce Mountains - 4 Mai 2005