Karakoram: Traversées des glaciers

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La traversée Hispar - Biafo (avril 1987)
La traversée Biafo - Mustagh - Baltoro (avril 1990)

 

Karakoram ! Inutile de présenter longuement le plus grandiose massif montagneux de la terre qui, depuis plus d'un siècle, fait rêver des générations d'alpinistes. Ses immenses glaciers permettent de concevoir des raids fabuleux en ski-pulka.

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Situé dans la partie ouest de l'Himalaya, le Karakoram sépare l'Inde et le Pakistan de la Chine. Sur 500km de longueur et une centaine de largeur, ce massif renferme cinq sommets de plus de 8000m, mais aussi la plus importante concentration mondiale de sommets de 7000m, puisque l'on en compte pas moins de 140, dont un certain nombre n'ont jamais été gravis.

Rive droite du haut glacier de Biafo. Août 1986.

Rive droite du haut glacier de Biafo. Août 1986.

Le Karakoram est sillonné par les plus grands glaciers du monde en dehors des régions polaires et contient aussi les plus hautes parois granitiques de la terre. Situé dans une zone continentale semi-désertique, il n'est que rarement affecté par la mousson ce qui permet une pratique de l'alpinisme et de la randonnée durant les mois d'été. Les montagnes du Karakoram sont souvent d'un accès long et difficile et l'on doit franchir des gorges sauvages et escarpées sur des sentiers vertigineux pour les atteindre.

Des gorges sauvages, des sentiers vertigineux. Vallée de Shimshal. 15 juillet 1995.

Des gorges sauvages, des sentiers vertigineux. Vallée de Shimshal. 15 juillet 1995.

Montée du glacier d'Hispar. Avril 1987.

Montée du glacier d'Hispar. Avril 1987.

 

 

 

 

Jusqu'au début des années 2000, de nombreux alpinistes et randonneurs du monde entier se pressaient sur le glacier de Baltoro, le reste du massif étant beaucoup moins fréquenté. La situation commence à changer en août 1998 quand le grand alpiniste et skieur américain Ned Gillette, compagnon d'expédition de Galen Rowell au Karakoram, est assassiné dans sa tente près du Haramosh La alors qu'il campe avec sa femme, la championne de ski Susie Patterson qui survit par miracle. Au cours des années 2000, la montée de l'insécurité au Pakistan entraîne un déclin progressif de la fréquentation des différents massifs.

 

En janvier 2010, l'énorme éboulement de Gulmit coupe la Karakoram Highway, crée un lac de 20km de long et complique l'accès à certaines vallées du Karakoram, notamment celles de Shimshal, Pasu et Batura. L'assassinat de 9 alpinistes et de 2 sherpas au camp de base du Nanga Parbat en juin 2013 sonne le glas des voyages au Karakoram, sans doute pour plusieurs années. En 2014, quelques rares groupes d'alpinistes ou de randonneurs parcouraient encore le Baltoro, ils étaient des centaines 20 ans plus tôt. En 2015, les autorités pakistanaises tentent de sécuriser la région afin de faire revenir les alpinistes. A suivre.

 

 

 

Camp sur le glacier de Nobande Sobande. Avril 1990.

 

 

 

Bernard descend le glacier de Nobande Sobande. Avril 1990.

Bernard descend le glacier de Nobande Sobande. Avril 1990.

Il existe un grave problème géopolitique au Karakoram. En 1947, les deux Etats (Inde et Pakistan) issus de l'éclatement de l'ancien Empire des Indes Britanniques n'ont pu parvenir à un accord pour fixer leur frontière à travers le Cachemire. Il y a donc une ligne de contrôle agréée par les deux parties en 1949. Mais celle-ci n'existe pas à travers le Karakoram où, depuis plus de 60 ans, une simple ligne de cessez-le-feu marque une séparation de fait entre deux armées. Cette ligne passe au col Conway, à plus de 6000m d'altitude, mais le Karakoram oriental autour des glaciers de Siachen et de Rimo, actuellement occupé par l'Inde, est revendiqué par le Pakistan.

Deux armées sont donc face à face de part et d'autre du col Conway, avec des incidents toujours possibles et une alternance de périodes calmes et de situations de guerre. C'est ainsi que 3 guerres indo-pakistanaises ont eu lieu en 1947, 1965 et 1971 suivies de violents combats autour de Kargil durant l'été 1999 et d'une 4ème guerre en 2001/2002. La situation est encore compliquée par le fait qu'en 1962, une guerre entre l'Inde et la Chine s'est achevée avec l'annexion par la Chine du territoire indien de l'Aksaï Chin. Ce territoire est évidemment revendiqué par l'Inde. Et pour simplifier les choses, après cette annexion chinoise, le Pakistan a cédé en 1963 une partie du versant nord du Karakoram à la Chine. Ce versant est aujourd'hui réclamé par l'Inde à la Chine et au Pakistan.

Descente du glacier de Sarpo Laggo. Avril 1990.

Descente du glacier de Sarpo Laggo. Avril 1990.

La situation politique, militaire et religieuse de la région du Cachemire est donc inextricable. Il y a bien peu d'espoir de pouvoir un jour prochain traverser le Karakoram entre l'Inde, la Chine et le Pakistan d'autant que ces trois pays possèdent un armement nucléaire !

Ski-pulka au Karakoram

Alors que tous les «8000» du Karakoram ont été gravis dans les années 50, il faut attendre les années 80 pour voir des skieurs au pied du K2. A cette époque, une longue période de calme dans les relations indo-pakistanaises avait permis aux alpinistes de passer facilement de l'ouest à l'est du Karakoram c'est-à-dire du glacier de Baltoro à celui de Siachen.

Montée du glacier d'Hispar. Avril 1987.

Montée du glacier d'Hispar. Avril 1987.

 

 

Camp sur le Snow Lake. Au fond, les tours rocheuses dominant la partie supérieure du glacier de Biafo.

C'est ainsi que le premier raid à skis à travers le Karakoram est tracé entre le 27 mars et le 8 mai 1980 par les américains Galen Rowell, Ned Gillette, Daniel Asay et Kim Schmitz. Partis de la vallée de Khapalu, ils gagnent le glacier de Siachen par le glacier de Bilafond, le col de Bilafond et le glacier de Lolofond. Ils remontent le glacier de Siachen, traversent le flanc du Sia Kangri à 6800m d'altitude et rejoignent ainsi le col Conway qui leur donne accès au glacier de Baltoro. Descendant tout le Baltoro, ils gagnent le village d'Askolé où ils retrouvent un ravitaillement. Ils reviennent alors au bas du glacier de Biafo qu'ils remontent entièrement avant d'atteindre le Snow Lake, puis le col d'Hispar qu'ils franchissent.

 

Ils descendent ensuite le glacier d'Hispar pour gagner le village d'Hispar et la Karakoram Highway.
Ce raid mythique, très imaginatif, élégant et passablement audacieux dans sa première partie sur le Sia Kangri a fait rêver toute une génération de skieurs. C'est sans doute le plus fabuleux raid à skis de haute montagne que l'on puisse effectuer sur notre vieille Terre.

Sur le glacier de Sarpo Laggo. Avril 1990

Sur le glacier de Sarpo Laggo. Avril 1990

Sommets glaciaires sans nom sur le rive droite du glacier de Biafo. Avril 1990.

Sommets glaciaires sans nom sur la rive droite du glacier de Biafo. Avril 1990.

La seule faiblesse de l'itinéraire se situe dans la descente sur Askolé qui n'est pas skiable. La partie basse du glacier de Baltoro, insuffisamment enneigée, avait d'ailleurs fait beaucoup souffrir Galen Rowell et ses amis.
Il faut donc trouver un itinéraire reliant la partie supérieure du Baltoro au Snow Lake et au col d'Hispar pour éviter la descente sur Askolé et achever de tracer la Haute Route idéale du Karakoram.

La Traversée Hispar-Biafo  (Mars-Avril 1987)

C'est en 1984 seulement que nous prenons connaissance du raid de Rowell et Gillette et nous commençons à rêver. Nous nous voyons déjà sur le Sia Kangri, skis aux pieds face aux plus belles montagnes du monde ! Le premier enthousiasme passé, nous analysons la situation. Plusieurs d'entre nous sont allés au Karakoram en été, nous connaissons les problèmes liés au froid et à l'altitude, nous avons une bonne expérience des grands raids à skis dans l'Arctique et maîtrisons bien l'usage des pulkas, alors, pourquoi pas nous ?

En remontant le glacier d'Hispar. Avril 1987.

En remontant le glacier d'Hispar. Avril 1987.

A l'automne 1985, la décision est prise, nous irons au Karakoram pour tracer la haute route du massif qui doit relier le haut Baltoro au Snow Lake sans discontinuité. Après avoir étudié les cartes et les articles parus depuis 1900, un itinéraire est défini entre le col d'Hispar, le Snow Lake et le haut Baltoro.
A cette époque, nous pensions encore avoir l'autorisation de traverser le col Conway, aussi nous consacrons l'été 1986 à effectuer deux dépôts de vivres et de matériel. Faire un dépôt de vivres est un exercice délicat car il doit être dissimulé sans repères visibles pour ne pas éveiller les convoitises, mais il est alors difficile de le retrouver au printemps lorsqu'il est enfoui sous 4m de neige.

Porteurs remontant le replat morainique de la rive droite du glacier d'Hispar. Avril 1987.

Porteurs remontant le replat morainique de la rive droite du glacier d'Hispar. Avril 1987.

La suite des évènements confirmera ce point. Le premier dépôt est installé sur le haut Baltoro vers 4400m et le second en haut du glacier de Biafo à 4600m. Depuis le dépôt de Biafo, nous gagnons le Snow Lake et effectuons une reconnaissance au col de Sim (Sim La) pour constater qu'il est infranchissable, puis nous traversons le col d'Hispar et descendons tout le glacier d'Hispar.

Le glacier d'Hispar vers 4000m d'altitude. Au fond, les sommets bordant la rive gauche du glacier. Avril 1987.

Le glacier d'Hispar vers 4000m d'altitude. Au fond, les sommets bordant la rive gauche du glacier. Avril 1987.

 

 

 

En mars 1987, notre petite expédition rejoint le village d'Hispar avec un groupe de porteurs pour traverser le Karakoram d'ouest en est, en sens inverse de l'équipe Rowell-Gillette. La partie inférieure du glacier d'Hispar est un chaos rocheux inskiable et il faut remonter la rive droite du glacier sur une succession de terrasses morainiques.

 

 

Après avoir traversé le glacier de Kunyang, on rejoint les pâturages de Bitanmal et, vers 4100m, peu avant le glacier de Pumari Kish, on peut descendre sur le glacier d'Hispar qui, à partir d'ici est bien enneigé et devient skiable avec les pulkas. Les porteurs regagnent leur village et désormais, nous sommes seuls.
Bien que sans difficulté, même avec une pulka, la remontée du glacier d'Hispar jusqu'au col d'Hispar fut assez laborieuse à cause du mauvais temps hormis une belle journée où nous avons tiré nos pulkas sous le soleil.

 

Montée du glacier d'Hispar. Avril 1987.

Montée du glacier d'Hispar. Avril 1987.

Le versant ouest du col d'Hispar (5150m). Avril 1987.

Le versant ouest du col d'Hispar (5150m). Avril 1987.

 

 

 

Parvenus à la base du col d'Hispar, le temps est exécrable et la visibilité nulle. Les pentes du col sont faciles mais crevassées. Un passage aisé existe entre les crevasses sur les deux versants mais il est très difficile à trouver dans le brouillard. Nous devons attendre une éclaircie pour franchir le col à 5100m et c'est avec plusieurs jours de retard que nous atteignons le bassin du glacier de Biafo et l'emplacement du dépôt.

Malgré deux journées passées à pelleter la neige, il fut impossible de retrouver ce dépôt. C'était le coup de grâce. Il ne nous restait plus qu'à battre en retraite vers le village d'Askolé, à 4 jours de marche de là, l'estomac vide et le coeur plein de rage tandis que 3 années d'espoir et de rêves s'effondraient sur le glacier de Biafo. Avoir effectué, 7 ans après Galen Rowell, la seconde traversée à skis du col d'Hispar et la première traversée dans le sens Hispar-Biafo n'est qu'une maigre consolation et notre échec est sévère.

Le massif du Baintha (Ogre, 7285m) domine la rive gauche du glacier de Biafo. Avril 1990.

Le massif du Baintha (Ogre, 7285m) domine la rive gauche du glacier de Biafo. Avril 1990.

La Traversée Biafo-Mustagh-Baltoro (Mars-Avril 1990)

Deux ans plus tard, à l'automne 1989, ayant digéré la déception mais n'ayant pas oublié l'échec, trois vétérans de la tentative de 1987 décident de relancer l'aventure. Il n'y a plus maintenant aucune possibilité de rejoindre le glacier de Siachen en traversant le col Conway. L'objectif consiste donc à reprendre l'itinéraire abandonné au col d'Hispar en 1987 et à gagner le haut Baltoro.

Sur le Snow Lake. Au fond, les tours rocheuses de la rive droite du glacier de Biafo. Avril 1990.

Sur le Snow Lake. Au fond, les tours rocheuses de la rive droite du glacier de Biafo. Avril 1990.

Camp sur le replat morainique de la rive droite du glacier d'Hispar. Avril 1987.

Camp sur le replat morainique de la rive droite du glacier d'Hispar. Avril 1987.

 

 

Nous renonçons à la technique du dépôt et effectuerons le raid en autonomie totale avec pulka. La région que nous voulons traverser, sans être un «Blank on the map»¹, n'est pas très connue. Il paraît que, dans les temps anciens, elle était traversée entre le Tibet et l'Inde par une branche de la Route de la Soie qui passait au col Est de Mustagh. C'est bien difficile à croire quand on a pu juger le terrain sur pièces, mais enfin....
Si on en reste à la période historique, les incursion connues dans ces parages sont celles de Sir Francis Younghusband en 1887, de l'expédition d'Ardito Desio et du Duc de Spoleto en 1929, du célèbre tandem Shipton-Tilman en 1937 et 1939, celle enfin d'Ardito Desio en parallèle de la conquête du K2 en 1954. Les cartes tracées à la suite de ces visites présentent par endroit des erreurs importantes, signe évident de la désaffection des visiteurs et un certain nombre d'inconnues existent concernant l'itinéraire.

 

 

 

 

 

 Nous débarquons à Islamabad à la fin de mars 1990. 4 jours sont consacrés aux formalités administratives préludant à toute expédition au Pakistan: permis de trekking pour le Baltoro, qui est une zone militaire dont l'accès est règlementé, et surtout, entrée en franchise de taxes de nos 300kg de nourriture et de matériel. Ces choses là s'arrangent toujours quand on dispose des services d'une agence locale efficace ce qui est notre cas. Mais que tout paraît simple en montagne quand on sort des méandres des ministères pakistanais !

 

Camp sur le glacier de Biafo. Avril 1990.

Camp sur le glacier de Biafo. Avril 1990.

Retour dans la vallée de la Braldu. Mai 1990.

Retour dans la vallée de la Braldu. Mai 1990.

 

 

La suite s'enchaîne sans accrocs: avion pour Skardu, jeep pour Dassu et porteurs pour remonter la vallée de la Braldu. Celle-ci est encore dans sa parure hivernale: peu d'eau dans la rivière, énormes culots d'avalanches dans le fond de la vallée, champs dénudés, sans aucune des magnifiques taches vertes si typiques qui entourent les villages du Karakoram en été. Les porteurs nous accompagnent sur le glacier de Biafo jusqu'à 3700m d'altitude, où l'épaisseur de neige est suffisante pour skier avec une pulka. Ils nous quittent le 2 avril.

Au milieu de ces montagnes himalayennes, nous sommes équipés comme pour un raid arctique, avec des skis de randonnée nordique et des pulkas mais aussi des chaussures permettant l'usage des crampons. La pulka est nécessaire pour disposer, sans aide extérieure, d'une autonomie de 25 jours au-delà du point atteint avec les porteurs. Paradoxalement, la morphologie du Karakoram se prête assez bien à l'usage de cette technique conçue pour les immensités arctiques.

Montée sur le glacier de Biafo. Avril 1990.

Montée sur le glacier de Biafo. Avril 1990.

On y trouve en effet des glaciers de 50 ou 60km de long, en pente assez faible. Leurs parties basses, jamais assez enneigées pour être skiables, présentent des formes curieuses ressemblant aux vagues d'une mer déchaînée couverte de cailloux de toutes tailles. Mais les parties hautes des glaciers, au-dessus de 3800/4000m, se prêtent bien à la traction des pulkas.
La facile remontée du glacier de Biafo offre quelques journées superbes et nous progressons sous un ciel limpide au pied de montagnes spectaculaires notamment les Latok (7145m) et la face sud du Baintha Brakk (l'Ogre, 7285m). Plus haut, les grandes tours dominant la rive droite du glacier de Biafo sont impressionnantes. Ces quelques jours de vrai beau temps ont été les seuls de notre séjour. Par la suite, nous n'avons plus connu qu'une succession d'éclaircies durant de 10 minutes à 10 heures un jour sur deux.

Montée sur le glacier de Biafo. Au fond le massif de l'Ogre (7285m). Avril 1990.

Montée sur le glacier de Biafo. Au fond à droite, le massif de l'Ogre (7285m). Avril 1990.

 

 

 

 

Le bassin d'alimentation du glacier de Biafo, très vaste et très plat (Le Snow Lake, parfois appelé Sim Gang glacier) se parcourt sans difficultés. La spectaculaire face nord du Baintha Brakk qui, en 2013, n'a toujours pas été gravie, dresse d'un seul jet ses 2200m de muraille verticale.

 

 

 

 

Le 10 avril, nous abordons le col de Skam (Skam La, 5700m et non 5407 comme indiqué) qui représente la première inconnue et la première difficulté de l'itinéraire. Ce col, franchi par l'illustre Bill Tilman en 1937, n'a vu personne depuis plus de 50 ans. Antoine dut abattre un énorme travail pour faire la trace en montant avec de la neige jusqu'au ventre sur une pente de 250m de haut à 55°. Ensuite, après l'avoir équipée de cordes fixes, c'est l'exercice du portage qui occupe le reste de la journée. La fin de l'éclaircie et la nuit ne nous arrêtent pas mais, à 5700m, c'est la fatigue qui a raison de nous avant que tout le matériel n'ait franchi la pente.

Antoine trace la raide pente du col de Skam. Avril 1990.

Antoine trace la raide pente du col de Skam. Avril 1990.

En arrivant au sommet du col de Skam. Avril 1990.

En arrivant au sommet du col de Skam (5700m) - Avril 1990.

 

 

 

 

Au matin du 12 avril, la situation n'est guère brillante. Le camp est installé sur le col de Skam, il neige depuis 2 jours, 2 paires de ski et une de nos pulkas sont encore au pied du col avec 15kg de matériel et toutes nos cordes équipent la pente gravie il y a 2 jours. Avec la quantité de neige tombée, nous estimons dangereux de descendre cette pente à 55° pour aller récupérer le tout. Une éclaircie s'installe dans l'après-midi du 12 avril. Nous partons ramasser l'essentiel, c'est-à-dire les skis et les cordes, abandonnant une pulka chargée de vivres au pied du col de peur de déclencher une avalanche en allant plus loin.

Le versant est du col de Skam est plus facile et, malgré la présence de grosses crevasses, la descente du glacier de Nobande Sobande ne pose guère de problèmes pour autant que le brouillard veuille bien se lever. De beaux sommets glaciaires vierges et anonymes bordent le glacier. Vers 4500m, la vallée se rétrécit tandis que le glacier de Nobande Sobande reçoit plusieurs affluents importants. Un chaos glaciaire se forme peu à peu et ralentit notre progression vers le confluent avec le glacier de Chiring, situé à 4200m et atteint le 15 avril.

Au milieu des crevasses du glacier de Chiring. Avril 1990.

Au milieu des crevasses du glacier de Chiring - Avril 1990.

 

 

 

 

A cet endroit, Claude quitte l'équipe à cause du retard pris jusque là qui ne garantit pas de respecter la date prévue pour l'avion du retour. Cela lui vaudra 4 jours de marche solitaire pour rejoindre Askolé en descendant la vallée de Panmah. Les 5 autres commencent à remonter le glacier de Chiring au milieu d'un paysage limité au glacier et aux nuages. Seules les crevasses de ce glacier très vallonné rompent l'uniformité blanche. Entre 4800 et 5200m, chaque bosse est un assemblage de crevasses en étoile nous obligeant à tracer un itinéraire subtil entre les bosses, encordés à 20m les uns des autres. Avec l'aide des Dieux de la Montagne, nous gagnons la partie supérieure du glacier de Chiring et le col Ouest de Mustagh le 18 avril.

Camp sur le glacier de Nobande Sobande. Au fond, le sommet du Biacherahi. Avril 1990.

Camp sur le glacier de Nobande Sobande. Au fond, le sommet du Biacherahi - Avril 1990.

Marc arrive au sommet du col ouest de Mustagh. Avril 1990.

Marc arrive au sommet du col ouest de Mustagh. Avril 1990.

 

 

Ce col, dont l'altitude est de 5700m et non de 5370 comme l'indiquent certaines cartes, donne accès au bassin du glacier de Sarpo Laggo qui termine sa course dans la vallée de la Shaksgam**. Ce col est un vrai col pour skieur et se traverse skis aux pieds. Son profil très doux fait que le skieur qui approche du col voit derrière celui-ci les plus grands sommets du Karakoram se dégager peu à peu. Nous avons eu le bonheur de franchir le col Ouest de Mustagh sous le soleil d'une fin d'après-midi, le spectacle de l'arrivée est inoubliable et constitue une  apothéose de ce raid à travers le Karaloram. 

 

 

 

 

 

 

Il faut ensuite descendre un peu le glacier de Sarpo Laggo en laissant à droite le col du même nom, franchi en 1937 par Shipton, Tilman et une équipe de 120 porteurs venant du Baltoro par le glacier de Trango***. La suite de l'itinéraire consiste à remonter le glacier de Karfogang  qui conduit facilement au col Est de Mustagh (5450m).

Au col de Sarpo Laggo. Avril 1990.

Au col de Sarpo Laggo - Avril 1990.

Dans la descente du col est de Mustagh. Avril 1990.

Dans la descente du col est de Mustagh - Avril 1990.

 

 

 

 

La descente du versant sud de ce col constitue par contre la seconde difficulté sérieuse de l'itinéraire après la montée au col de Skam. La première tentative pour descendre du col Est de Mustagh dans l'axe du col se termine rapidement sur un mur de séracs verticaux. Il faut aller chercher la sortie tout à droite, côté ouest, dans un  étroit couloir coincé entre les séracs et un éperon rocheux. Ce couloir a une pente moyenne de 45° sur 200m de haut, avec quelques courts ressauts plus raides. Mais comme il est toujours plus facile de descendre que de monter, un après-midi nous suffit pour arriver tous en bas sur le glacier de Mustagh. 

Le reste aurait du être sans histoire. Mais il y eut d'abord Jean-Luc qui creva un pont de neige, à un endroit où tout le monde était prêt à jurer qu'il n'y avait plus la moindre crevasse. Plus de peur que de mal heureusement ! Et puis, suite à un malentendu avec les porteurs montés d'Askolé à notre rencontre, il fut impossible de ramener la totalité de notre matériel. Trois pulkas, trois paires de skis et quelques provisions sont restées sagement rangées au confluent du glacier de Mustagh avec le Baltoro. Elles n'y sont sans doute pas demeurées longtemps.
Ce matériel abandonné est un symbole, la marque d'un itinéraire inachevé. Là où nous nous sommes tournés vers le bas pour rejoindre la vallée d'Askolé, il aurait fallu tourner vers le haut pour achever la Haute Route du Karakoram en suivant l'itinéraire de Galen Rowell, c'est-à-dire passer du Baltoro au Siachen par le col Conway et finir sur le glacier de Rimo en traversant le col des Italiens. Mais voilà, l'armée pakistanaise tient le Baltoro, l'armée indienne tient le Siachen et chacun tire au canon sur tout ce qu'il voit bouger de l'autre côté. Pour terminer notre itinéraire, nous devrons attendre que cesse la guerre la plus haute et la plus inutile du monde. Quand la paix sera revenue...

Vers le confluent des glaciers de Nobande et de Chiring. Avril 1990.

Vers le confluent des glaciers de Nobande et de Chiring. Avril 1990.

Ont participé à l'expédition de 1987: Marc Breuil, Serge Claudel, Jacques Giraud, Philippe Nonin, Bernard Odier et Claude Pastre.

Ont participé à l'expédition de 1990: Marc Breuil, Jean-Pierre Canceill, Antoine Melchior, Bernard Odier, Claude Pastre* et Jean-Luc Rudkiewicz.
* Jusqu'au glacier de Panmah.

Bibliographie

Galen Rowell : In the Throne Room of the Mountain Gods - San Francisco - Sierra Books éditeur, 1986. Synthèse alpine et historique sur le glacier de Baltoro et le Karakoram par le grand alpiniste, écrivain et photographe américain, disparu en août 2002 avec sa femme Barbara, dans un accident d'avion aux Etats-Unis.

Louis Audoubert : Baltoro, montagnes de lumière. Arthaud éditeur, 1983. Excellent ouvrage en français sur le Karakoram.

Galen Rowell: Skiing the Karakoram High Route. American Alpine Journal, 1981. P 59/70. Le récit du raid historique de 1980.

¹ Allusion au livre référence d'Eric Shipton sur le Karakoram.

** Voir sur ce site le récit de nôtre randonnée pédestre dans la vallée de la Shaksgam.

*** Lire le récit de ce passage avec les porteurs dans le livre d'Eric Shipton «Sur cette montagne». Cf la bibliographie dans le texte sur vallée de la Shaksgam.

Carte 1987

Carte de la traversée Hispar-Biafo de 1987.

Carte 1990

Carte du raid au Karakoram de 1990.